Si l’on s’en tient à l’étymologie, le mot expression – dérivé du latin tardif expressio « action de faire sortir en pressant », du verbe exprimere (de ex et premere) – implique déjà un “sortir hors de”, une action ou un acte d’extériorisation.
Or, si l’on passe de l’origine du mot au concept, on voit que l’acte d’expression en tant qu’urgence d’extériorisation et d’explicitation, convoquant à la fois socialité et individualité, corporéité et normativité, ne peut être aujourd’hui recompris qu’à partir de la pensée de Merleau-Ponty ou d’une phénoménologie sémiotique, dont le défi « est bien de respecter le caractère à la fois public et incarné de l’expression » (V. Rosenthal, Y.-M.Visetti).
Le bref texte poétique ici proposé, À la naissance du sens aborde la problématique de l’expression, et de sa liberté, pour ainsi dire à l’état naissant, sous l’impulsion et la ‘pression’ du souffle et de la voix. Car l’entente seule du tremblement d’air de l’autre, dans ma proximité à son souffle et, inversement, de ma voix au dehors, dans l’écoute de l’autre, atteste enfin ma voix. C’est de cet échange de voix qui s’entendent et se répondent, de cette expérience d’une réversibilité sensible, qu’émerge tout sens. En termes merleau-pontiens « le sens est pris dans la parole et la parole dans l’existence extérieure du sens. »
De ce double mouvement, mouvement chiasmatique, entre le dedans et le dehors, le moi et l’autre, s’ouvre alors un nouvel horizon éminemment éthique, si par éthique – comme le souligne magnifiquement Patrick Leconte – « il faut entendre d’abord et essentiellement [...] cette modalité de l’exister, selon laquelle le soi accède à soi dans la proximité de l’autre ».
À la naissance du sens
- De ta chair sonore
- au dedans
- doux vibre silencieux
- ton souffle charnel
- et fugitif couve et bat
- de tes poumons à ta gorge
- Sous ton plexus solaire
- sous tes rondes papilles
- mûre s’ouvre comme une pêche
- aux rougeurs d’été ta voix
- à ma caresse vocale
- Fautive à l’entente de mon souffle
- qui m’échappe
- de ton souffle
- qui s’élance
- je m’abreuve alors
- de nos voix
- au dehors
- et je bois et m’émerveille
- à l’estuaire du son
- à la naissance du sens