(Read the English version below)
J’ai rencontré Jilali Hamham à Angers quelques mois après la parution de son premier roman, MachiAdam chez Rivages/Noir. Il m’a fait visiter sa ville, il m’a montré la bibliothèque où, petit garçon, il a sorti autant de livres qu’il le pouvait, ainsi que l’université où il a fait ses études et les lieux du centre-ville qui lui sont chers. J’ai également discuté avec une gérante de café à Monplaisir qui a vu Hamham grandir, et avec la libraire qui a soutenu et suivi son projet de roman. À la fin de cette journée, nous nous sommes assis le temps d’un entretien. Au cours de celui-ci, il a parlé de son premier texte, La souffrance (2006), écrit quand il était étudiant en lettres étrangères appliquées à l’Université d’Angers, et de la passion qu’il a toujours eue pour la lecture et la littérature. Lorsque nous avons commencé à parler de MachiAdam, c’est le calvaire à travers lequel Hamham est passé avant de trouver un éditeur qui m’a frappée avant tout. J’ai donc gardé cette histoire, un genre de thriller en soi, entière. Hamham a le don du verbe; il calcule et pèse chaque mot. Comme son écriture parsemée de points d’exclamation le laisse entrevoir, il s’enthousiasme dans et pour la vie.
Dans MachiAdam, le lecteur fait la connaissance d’un jeune homme talentueux, étudiant en langues et épris de la douce Marie-Anne. Toutefois, il se lasse des fois, se demande où mèneront ses études, et donc ne voit pas l’intérêt de persister. Il arrive un moment où il doit choisir entre suivre le chemin des études ou s’allier à des copains de la grande délinquance, qui lui proposent d’aller chercher de la drogue au Maroc. Attiré par l’intensité et l’argent de l’univers de la drogue, Adam décide d’embarquer Marie-Anne dans son affaire de trafic, se servant de sa naїveté et de sa confiance. Avec elle, il peut se présenter en amoureux afin de plus facilement passer la frontière. Une fois au Maroc, Adam est vite dépassé par la manigance réfléchie et l’intelligence cruelle de cet univers.
Avec Adam, Hamham a créé un protagoniste inoubliable qui entame une descente aux enfers. Adam saura-t-il s’en sortir ? Trouvera-t-il l’antidote au mal ? L’histoire de cette descente aux enfers, c’est l’histoire de MachiAdam, un roman palpitant d’un rythme à perdre haleine.
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Laura Reeck : Combien de temps avez-vous mis pour écrire MachiAdam, un roman tout de même copieux ?
Jilali Hamham : La première partie du roman j’ai dû mettre un an, un an et demi même. Et la deuxième partie du roman, comme j’avais déjà le contact avec François Guérif [éditeur], je l’ai faite en quatre mois. Même moi, j’ai été surpris, j’ai vraiment plié ça en quatre mois. J’étais vraiment boosté. Vous savez, le meilleur carburant, c’est la confiance. Quand il y a quelqu’un qui te dit « j’ai confiance en toi, tu vas y arriver »…
LR : Donc vous n’avez pas présenté tout le roman en manuscrit…
JH : J’avais que la première partie !
LR : Est-ce que vous pouvez décrire en quelques mots comment vous avez trouvé votre éditeur, Rivages/Noir ?
JH : Faut savoir que le milieu de la littérature est un milieu un peu fermé. J’aime pas beaucoup faire la victime, mais il y a quand même des réalités qu’il nous faut vraiment mettre au jour. C’est comme une caste incestueuse, un cercle très fermé. C’est souvent les « fils de » et les « filles de » qui ont accès à l’édition. Moi, j’avais déjà une petite expérience de par mon essai qui était paru chez un éditeur à compte d’auteur, donc j’avais investi mes propres deniers, etc., je l’ai porté moi-même dans les conférences. Partout où j’allais, je portais mes livres, j’ai fait des campagnes d’affichages à Paris, j’ai même reçu des amendes et tout… J’avais compris que pour aller plus loin, il fallait vraiment être dans une grosse équipe, une grosse machine. J’ai un peu analysé le milieu, et j’avais reçu déjà des réponses négatives. Mais les mecs, je pense pas qu’ils avaient pris le temps de lire…
J’ai un peu prolongé ma réflexion, et je me suis dit : « Comment je fais pour y arriver ? ». Je croyais vraiment en moi et dans mon texte, mon choix s’est tout naturellement porté vers la collection Rivages/Noir, avec un éditeur qui s’appelait François Guérif. J’ai analysé toutes ses interviews, j’ai regardé ses vidéos, je mettais sur papier toutes les accroches, les choses qui étaient susceptibles d’attirer son attention. Ensuite, j’ai cherché à le rencontrer, mais pas sous n’importe quel prétexte; en fait, je me suis fait passer pour un journaliste qui venait de créer un fanzine, etc., qui voulait faire ma première avec lui… Comme je n’avais pas son mail, je me suis entraîné sur une autre maison d’édition pour voir un peu le système, comment on passait les étages pour arriver to the last, au dernier étage, là où il y a le boss. Suite à ça, j’ai réussi à avoir le mail. Ensuite, en répercutant l’expérience que j’avais acquise par rapport à cette tentative, j’ai appelé Rivages. Au bout de deux-trois personnes différentes que j’ai dribblées un petit peu par la parole, j’ai réussi à avoir le mail de François Guérif. J’ai rédigé un mail où je me présentais comme le journaliste, etc. J’avais même soumis dix points que nous allions vraiment discuter, j’avais prévu quarante minutes, etc.
Donc j’envoie le mail, je ne reçois pas tout de suite de réponse parce que James Ellroy [écrivain américain de polars] était en pleine promo en France donc il n’avait pas trop le temps. Au bout d’une quinzaine de jours, il me répond. Après quelques relances, il me dit « Oui, appelez-moi tel jour ». Le jour en question, j’étais parti à la fac, il y avait deux salles mitoyennes condamnées pour être sûr que personne ne m’entende au cas où ça ne passe pas… C’était le conseil de guerre : j’avais deux ordinateurs avec les phrases en caractère 48 devant moi – les phrases à ne pas louper –, des notes à droite à gauche, un paquet de stress aussi dans le ventre, et je prends le téléphone et j’appelle à l’heure indiquée. Là je tombe sur la secrétaire qui me dit de rappeler dans cinq minutes. Mon stress est parti dans ce premier appel, ce qui fait que j’étais opérationnel pour le deuxième appel. Au bout du deuxième appel, je tombe sur François Guérif. Je lui laisse même pas le temps d’en placer une, je lui dis « Je vous remercie d’accepter ma démarche » pour pas qu’il rentre dans les questions etc., et donc là il me demande choisir entre deux dates, il me précise que la dernière date, il part en vacances après, donc moi je me suis dit « Mieux vaut prendre le dernier rendez-vous pour ensuite que ce soit frais pendant qu’il est en vacances ».
Voilà, je raccroche ensuite, avant même qu’on puisse parler de quoi que ce soit. Suite à ça je commence à préparer mon manuscrit : dans une interview, j’avais vu qu’il prêtait une attention définitive sur les dix premières lignes. Pour lui, dix lignes suffisaient à juger de la qualité d’un auteur. Donc j’ai dû remodeler mon texte… J’étais vraiment dans l’hésitation à cette période entre une partie que je voulais vraiment… J’avais en fait une tendance trop balzacienne à amener mon sujet lentement, et j’ai vu par la force des choses qu’il fallait vraiment faire un découpage. Donc j’ai reconfiguré mon texte, je l’ai corrigé, je l’ai imprimé et, par inadvertance, le texte est sorti en format paysage, et donc quand je classais mes feuilles, j’étais vraiment très énervé d’avoir à tout réimprimer, et en fait je me suis dit « Non. Je vais le faire en format paysage, comme ça quand je vais lui apporter là-bas, il va aller en vacances dans l’avion avec ! ». Ça fait partie des petits signes – je suis un petit peu mystique, j’ai une petite mystique qui m’accompagne souvent, je fais beaucoup attention aux signes, et j’ai pris ça pour un signe.
Je précise au fait que tout a été fait sous une fausse identité – faux mail, faux nom, faux prénom, tout, la totale. Donc ensuite, je prends un rendez-vous à Paris, je pars d’Angers à la gare, je prépare mes textes, j’arrive à Paris, j’ai une amie qui m’attendait là-bas, on part dans un café, je révise mes fiches. J’arrive au rendez-vous, je rentre chez Rivages, j’ai croisé quatre ou cinq pontes du showbusiness… Je voyais déjà qu’il y avait beaucoup de pâleur, c’était blanc… Je suis rentré, je me suis présenté. La secrétaire m’a regardé, elle a appelé la secrétaire personnelle de François. Au dernier moment, avant de raccrocher, on lui a dit que oui, en effet, il y avait bien un rendez-vous. Donc elle m’a indiqué le bureau. Je suis arrivé, il y avait François Guérif en face de moi, imposant, dans son fauteuil en cuir, affalé. Il y avait une jeune femme derrière lui qui était en train de farfouiller un petit peu la bibliothèque. Je regarde François Guérif, qui m’avait déjà fait une forte impression, parce que j’avais tellement l’habitude de le voir… En fait c’était comme un parrain : je le voyais dans les vidéos, à force de les revoir, de lire tous ses autres articles, je le connaissais. L’avoir face à moi, c’était autre chose. Je lui dis « Je vous remercie de me recevoir, ça prouve que… ». Et il me dit « Ça prouve que quoi ? » et là j’ai un blanc, je sais plus quoi dire et après je dis « Ça prouve que vous avez su rester humble malgré le succès », il m’a dit « J’espère » en rigolant. Après, je me maudis d’avoir eu cette idée « Mais qu’est-ce que je raconte »… Après je pose mon cartable devant lui, et je ne voulais pas parler devant la secrétaire, donc je faisais en sorte de perdre mon temps pour récupérer mes feuilles, et les secondes s’égrenaient lentement, mais d’une lenteur ! d’une lenteur, vous n’avez même pas idée ! Suite à ça, la secrétaire part, je me retrouve face à lui, mais je voyais qu’il y avait aussi beaucoup d’allées et venues dans le couloir… donc là je me retourne vers lui, je lui dis « Excusez-moi, est-ce qu’il serait possible de fermer la porte ? ». Il me dit « Oui, je vous en prie ». Je ferme la porte, je me retrouve seul à seul face à lui. C’était le money time comme disent les Américains. C’est là que tout se jouait.
Je lui dis « Écoutez je vais me présenter, ça vous permettra de savoir qui je suis et où on va ». Et je pense que lui, là, il a dû se demander « Mais qu’est-ce qu’il me raconte ce gars ? Pourquoi il me parle de le connaître ? ». Et donc j’ai commencé comme ça : « Cher monsieur, en préparant cette entrevue, j’ai consulté un certain nombre d’interviews vous concernant. L’une d’entre elles a particulièrement attiré mon attention, vous faisiez référence à la notion du risque. Vous reprochiez à vos collègues de ne pas prendre assez de risques, ce qui peut être surprenant quand on dirige une collection portant sur les gangsters… Et si cet article m’a interpellé plus qu’un autre, c’est parce que moi, j’ai pris un très gros risque ce matin ». Et là il s’affale sur son siège, et il a été très joueur, il m’a dit « Ah bon ? Vous avez pris un gros risque ce matin ? Mais quel est ce risqué ? ». Et là je le regarde : « Voilà, j’ai pris le risque de me présenter à vous sous une fausse identité pour vous donner ceci ». Et je plonge la main dans mon sac, je récupère le manuscrit, et comme je disais j’aurais pu sortir un flingue, c’aurait été la même chose, et je sors le manuscrit, je le tends. Et alors là, il a été grand seigneur, il s’affale encore plus sur son siège et il me dit « Je vous tire mon chapeau, je vous tire mon chapeau ». Après il s’avance, il tend la main, il récupère le manuscrit, il me regarde, il me dit « Mais je vais vous dire une chose : vous avez pris un très gros risque en effet. Par contre je ne jugerai que sur ça ». Il a agité son livre en me faisant comprendre qu’il ne jugerait que sur les écrits. Il m’a expliqué ensuite – il a été très intelligent et très psychologue. Il a voulu me préparer un refus, en m’expliquant que Rivages recevait jusqu’à mille manuscrits par an, que c’était très rare quand ils en publiaient un, etc. J’ai essayé de lui dire que je voulais repartir de là-bas seulement avec sa parole. Et il m’a donné sa parole. Je lui dis « Écoutez, si vous me donnez votre parole, je repars avec ».
Donc il a pris le manuscrit, je lui ai donné un autre pour son fils qui travaille avec lui (Benjamin). Je suis parti, j’étais satisfait mais… voilà, on peut pas savoir comment les gens réagissent après coup. Dans l’échange, je lui avais quand même précisé que j’avais déjà sorti un essai, je lui avais ramené la couverture de l’essai en question pour ne pas qu’il se dise que je sortais de nulle part et voilà… tout simplement. J’ai reçu une réponse au bout de quinze jours, un mail. Et je vous assure que le quinzième jour, j’y croyais plus. Pour moi, au bout de 24h ou 48h en général on avait une réponse. Quinze jours j’y croyais plus, donc j’étais vraiment très négatif. Et puis, j’ai fait un rêve en fait – pas un rêve prémonitoire : je me voyais dans leur bureau, ils me tendaient une feuille où il y avait écrit – c’est bizarre – mais il y avait écrit « L’arabe » avec deux +. Et il me dit « Ouais, c’est juste que j’étais en vacances ». Et le lendemain, à mon réveil, je vais sur ma boîte mail, mais il n’y avait rien. Par contre, en fin de journée, j’y retourne, et là je suis tombé sur le mail où il m’expliquait que le style et le ton étaient surprenants – mot pour mot – et qu’il fallait absolument connaître la suite parce qu’il était au milieu.
Donc après, ils m’ont donné rendez-vous, là j’ai eu rendez-vous avec le fils… et voilà.
LR : Dans ce roman qui est classé souvent comme un polar ou un roman noir, le lecteur ne connaît pas le plan en cours. C’est-à-dire qu’on ne sait pas ce qui va se passer parce que même le personnage principal, Adam, ne sait pas ce qui va se passer. Tout se passe de rendez-vous en rendez-vous en rendez-vous, c’est-à-dire qu’il n’y a pas vraiment d’intrigue qu’on arrive à suivre…
JH : Alors, j’ai tenu à avoir une séparation entre le livre un et le livre deux. Le livre un me permet de distribuer les clés de compréhension au lecteur. Je lui donne tous les codes. Parce que souvent, il faut vraiment aller au fond des choses pour mieux les analyser. Je voulais donner la personnalité du personnage, son origine sociale, toute l’analyse psychologique, toutes les blessures d’enfance, et montrer un petit peu l’environnement où il a grandi. C’était vraiment comme un puzzle : je mets en place les choses, mais d’une manière très très précise. Ensuite, le déroulement commence vraiment dans le deuxième livre. Avec les clés de compréhension, on redécouvre des personnages dans le deuxième livre à partir du premier. Et ensuite, une sorte de va et vient s’installe, il y a vraiment une césure qui était indispensable à mes yeux. Pour résumer, le premier tome, c’est un puzzle où je mets en place, et le deuxième c’est l’action, c’est là où ça commence.
LR : Par rapport à l’utilisation des italiques et notes en bas de page. C’est quelque chose que vous teniez à faire, ou est-ce que c’est l’éditeur qui vous a demandé de le faire ? Et pourquoi avez-vous fait ce choix d’expliquer, de traduire ?
JH : Mon livre, je le rends un petit peu comme une captation, une captation du pouls de la France. C’est-à-dire capter la France par son langage. Et je sais que la France aujourd’hui, c’est un pays qui s’enrichit de jour en jour grâce à l’immigration, et l’immigration a apporté son lot de mots, etc. Il y a vraiment un vocabulaire qui s’est enrichi, et j’ai voulu faire apparaître ce côté français – la langue manouche, le parler… Ça rejoint un peu le prénom Adam El Qalam. El Qalam, c’est le crayon, c’est le parler. J’ai voulu un personnage qui avait, de par sa particularité, un pied dans tous les milieux, et qui pouvait adapter son vocabulaire en fonction de l’interlocuteur. Il y a un très grand auteur qui disait « La richesse, ce n’est pas de connaître le maximum de mots, mais la richesse, c’est de savoir adapter son discours en fonction de l’interlocuteur ». Et Adam est comme ça. Adam, pour moi, c’est le moyen de faire découvrir la France, les différentes strates du pays. Les notes de bas de page, c’était vraiment pour coller à la crédibilité. J’attache une importance extrême à la crédibilité. Ce matin, on a croisé un pote à moi qui a baigné un petit peu dans ce milieu, que j’ai connu un petit peu plus jeune. C’était pour ces mecs-là. Je veux que quand ce mec-là, il lise le livre, il se dise « Le gars, il blague pas. C’est vraiment comme ça que ça s’est passé ». Et j’ai mis la traduction pour que les gens qui n’ont pas accès à ça puissent comprendre, puissent avoir un petit peu la signification. Et vraiment, je veux que ce soit crédible.
LR : Maintenant, une citation de Sun Tzu : « Tout l’art de la guerre est fondé sur la duperie ». S’il y a une guerre dans le roman, de quelle guerre s’agit-il ?
JH : D’une guerre identitaire. La guerre identitaire qui divise Adam en deux. On a le côté bien et le côté mal. On a ce côté, comme je l’expliquais tout à l’heure, Adam vient d’un milieu bétonné. En hébreu, « Adam » signifie « la glaise façonnée par Dieu », donc il veut modeler son avenir lui-même. Donc, il est en rébellion par rapport à son milieu, et la guerre qu’il mène, c’est une guerre inconsciente – entre le bien et le mal : une partie qui aime Marie-Anne et la partie française, et sa partie qui ne se sent pas inclue en France, qui veut la rébellion et qui n’a pour cause que l’argent. Un soldat, c’est un soldat de fortune qui n’a pour cause que celle de l’argent. Et le machiavélisme, c’est pour montrer que c’est un individu réfléchi. Pour lui, la révolte, ce n’est pas d’aller brûler des voitures, mais c’est prendre de l’argent.
LR : Le personnage de Hadj Hakim, l’oncle d’Adam, représente une rupture entre les générations, au sein de la même famille. Est-ce que vous pourriez commenter un peu son rôle dans le roman ?
JH : C’est quelqu’un qui, malgré lui, a une certaine sagesse, qui a une puissance, qui impose un respect lorsqu’on le voit, et qui, malheureusement est complètement dépassé. Lui, c’est quelqu’un qui attache beaucoup d’importance aux rapports humains, à la sincérité, à la spiritualité, et lorsqu’il voit des jeunes qui passent leur temps dans la rue, il leur explique que passer du temps dans la rue, forcément, vous n’en retiendrez pas des choses positives. Il essaye, malgré lui, de donner quand même les gages. Il n’est pas écouté, parce que les gens ont une seule religion : l’euro, ou le dollar. Pour eux, la seule manière d’exister, c’est avoir pour être. On n’a pas le temps de s’embrigader l’esprit. « Hakim », ça vient du mot sagesse. Donc il tend à Adam le panier avec la pomme. C’est une symbolique, pour lui expliquer « Tiens, t’as ta vie entre tes mains. À toi d’en faire bon usage ». Et malheureusement, on apprend par la suite ce qui va se passer. Mais oui, il y a une vraie rupture, et cette rupture fait que le dialogue n’est pas possible. On le prend pour un fou, on le prend pour quelqu’un qui est complètement d’un autre âge et qui est en complète déconnection.
LR : Dans le roman, il y a deux parties. Et on pourrait dire qu’il y a même deux jungles : une en France, une au Maroc. Donc je voulais savoir si ces deux mondes là, dans le roman, fonctionnent selon à peu près les mêmes règles. C’est-à-dire, rien n’est sacré, dans ces deux univers parallèles, ou bien est-ce que vous pensez qu’il y a de nouvelles valeurs sacrées ? Ce sont des univers sans valeur, ou est-ce qu’il y a quand même de nouvelles valeurs ? Même si elles sont négatives…
JH : J’ai envie de dire des valeurs utopiques. Pour prendre le cas particulier de la France, si l’on s’en réfère aux textes – que ce soit la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, etc. – il n’y a pas de souci. Il n’y a aucune différence entre les citoyens. Les citoyens naissent et demeurent libres et égaux en droits. Maintenant, c’est la réalité du texte, seulement du texte. Si l’on se réfère à la réalité du terrain, y a une hypocrisie. La particularité des personnes d’origines étrangères, c’est qu’elles portent leurs origines sur leur front. Donc il y a une hypocrisie parce que ces gens-là portent une espèce de plafond de verre au-dessus d’eux, à une époque où ne leur permettait de s’émanciper que dans les travaux manuels. Ensuite, petit à petit, on a réussi à repousser le plafond de verre aux métiers de la vente. Malheureusement, ce n’est pas encore assez. Je trouve qu’on a une élite qui est blanche, et à majorité masculine. Lorsqu’on la compare à la majorité de la population, il y a vraiment un fossé, une distance abyssale. Je pense qu’il y a une mentalité en France… C’est une France qui est un peu sclérosée, qui se replie sur elle-même, qui a peur de la différence, qui a peur de l’autre, et ça bloque un peu le pays. C’est la différence justement avec la mentalité anglo-saxonne, où là on juge la personne selon ses capacités avant sa couleur. C’est pas étonnant qu’il y ait des énormes entreprises comme Google, Yahoo, Facebook etc. qui émergent chez vous, parce qu’on va chercher le talent là où il est. En France, on a des talents, et malheureusement il y a des mecs qui sont obligés de ramer… Moi, je suis obligé de me faire passer pour un journaliste… Vous voyez ce que je veux dire ? On doit faire les choses dix fois plus que les autres. Et c’est fatigant.
LR : Est-ce que la valeur sacrée dans le roman, ce n’est pas l’argent ? C’est-à-dire qu’on est prêt à tout faire pour l’argent dans ces deux univers parallèles, français et marocain.
JH : Pour moi, c’est plus une lutte de pouvoir. À un moment, j’explique, quand Adam rentre dans son quartier, il est avec des jeunes, et Moustafa l’Africain essaye de le raisonner, et lui explique « Écoute, aujourd’hui c’est le business. Même les hommes politiques font du business. Ce sont eux les exemples ». Aujourd’hui, les vrais délinquants ont une cravate, et ils asphyxient, pas avec un flingue, mais avec une signature. Et ce n’est pas comparable avec le mec qui va voler un auto-radio. Et malheureusement, quand tu vas au tribunal, les mecs qui ont volé des autos-radios se retrouvent avec des peines de prison ferme, et les mecs qui ont volé le bien de l’État, qui ont confondu leur poche avec le portefeuille de l’État se retrouvent avec des peines de sursis. Donc c’est pas possible.
Après, pour parler du Maroc, c’était un autre truc : montrer l’hypocrisie des gens, c’est-à-dire que bon, il y a une croyance qui est mise en avant, etc., mais dans la pratique, c’est l’argent qui domine, c’est vraiment le sésame qui ouvre les portes. C’était important pour moi dire aussi qu’en France…
LR : Donc vous vouliez exploiter deux formes d’hypocrisie dans ces deux univers.
JH : Exactement. Autour des valeurs de pouvoir et d’argent.
LR : La fin du roman essouffle le lecteur, c’est impressionnant. Est-ce qu’Adam retrouve son honneur à la fin du roman ? Est-ce qu’il est reparti sur des bases morales ? Est-ce qu’il y a, à la fin du roman, rédemption pour lui ?
JH : Oui et non. Parce qu’il est trop tard. Et malheureusement, il va payer. Comme il est constamment partagé entre deux mondes, il ne réussit pas à trouver sa place. Son geste final est beau, et c’était important pour moi de terminer comme ça. C’est un geste chevaleresque, et c’était métaphorique aussi.
LR : Mais c’était trop tard.
JH : C’était trop tard. C’était métaphorique dans le sens où, pour moi, la scène finale – parce que j’attache beaucoup d’importance aux symboles – a lieu à la frontière, il se fait poignarder à la frontière entre l’Europe et l’Afrique. Donc, par rapport à sa philosophie de vie, entre le bien et le mal. Le bien, l’amour qu’il porte pour Marie-Anne, et le mal, c’est-à-dire le plan machiavélique qu’il a essayé de mettre en place. Donc il est partagé entre ces deux eaux. Et le fait qu’il n’a pas réussi à trancher avant, c’est fatal pour lui. Parce qu’à un moment ou un autre, il faut trancher, et il n’a pas réussi à trancher, donc il en va de sa perte. La métaphore derrière, c’est que quand t’es d’origine étrangère, tu peux dire que t’es Sénégalais alors que t’es d’origine sénégalaise, mais la vérité, c’est que t’es attaché à ton pays, et ton pays, que tu le veuilles ou non, c’est la France, parce que t’as grandi ici. Au pays, tu passes tes vacances, au bout de quinze jours, trois semaines, t’as déjà envie de rentrer… Après, c’est vrai que c’est pas facile, parce qu’ici, t’es pas forcément accepté, mais la différence, elle est dans le regard de l’autre. C’est le regard de l’autre qui te pousse à ressentir ta différence. Parce que de toi-même, tu ne peux pas la ressentir.
En termes de stylistique, il y a le rêve prémonitoire et les phrases qui reviennent à la fin. J’aimais bien, en termes d’écriture.
LR : En ce moment, la presse française parle énormément de trafic de drogues, clans, nouveaux mafiosos, les caïds des banlieues qui remplacent les Corses, etc. Avez-vous perçu à quel point le sujet de ce livre allait être percutant au moment même où tout le monde était en train de parler de ces sujets-là ?
JH : Ça ne m’a pas choqué, dans le sens où on en parle toujours en vérité. Ça revient constamment. Malheureusement, les vrais gangsters aujourd’hui portent des costumes. On peut pas reprocher à quelqu’un aujourd’hui qui est enfermé – je ne dis pas que je légitime ce genre de comportement, mais je peux l’expliquer – quelqu’un qui est enfermé dans un quartier – tout à l’heure, vous avez vu, on a visité un peu le quartier de Monplaisir, vous avez vu comment c’était. Dans mon livre, j’explique que le quartier aspire ses habitants comme un lavabo qui se vide. C’est-à-dire qu’il y a une mairie annexe, le centre commercial… tout est fait pour que la personne ne sorte pas. Donc à un moment, il y a une rupture avec l’autre frange de la population, il y a un autre code qui se met en place, donc on va chercher l’argent parce qu’on veut exister. Moi-même aujourd’hui j’ai du mal à raisonner les petits jeunes pour leur dire « Allez faire des études », ils vont me dire « Pourquoi j’irais m’embrigader à faire cinq années d’études ? »
LR : Dans le roman, les deux monde de l’école et de la rue se confondent, parce qu’Adam a fait des études, il a été dans le milieu universitaire…
JH : Adam a un parcours universitaire remarquable. Et malheureusement, il n’a pas réussi à mettre en exergue ses compétences. Il n’a pas pu s’épanouir dans le travail par rapport à son niveau, parce que quand on a bac+5, il n’est pas tolérable qu’on vous propose des travaux manuels, c’est complètement fou. Donc tenir un discours aux jeunes pour leur dire de faire en sorte de bien travailler à l’école pour avoir des diplômes… ils vous rient au nez aujourd’hui. Ils vous disent « Mais pourquoi je me casserais la tête, untel il a bac+5, il travaille dans une pizzeria. Laisse-moi tranquille, je vais aller chercher l’argent là où il est, et voilà, je ne veux pas perdre de temps ». C’est une vision un peu nihiliste. On en parlait tout à l’heure, je vous montrais le bâtiment qui cimentait l’horizon, c’est vraiment l’image à retenir : un horizon cimenté.
LR : C’est aussi l’image qui commence le roman…
JH : Exactement. Le ciment des premières pages.
LR : Est-ce que vous craigniez que votre livre soit vu et lu comme une apologie du crime et du criminel ?
JH : Je vois ce que vous voulez dire. Pour moi, il n’y avait pas de noir ou blanc. Pour moi, tout est gris. Parce que quelqu’un de bon a forcément une partie mauvaise, quelqu’un de mauvais a quand même un bon fond.
LR : La maîtrise du dialogue, ainsi que la maîtrise du rythme de l’histoire font de MachiAdam un roman profondément filmique pour moi. Et je trouve que la bande-sonore y est déjà. Avez-vous un projet pour adapter ce roman à l’écran ?
JH : Comme je vous disais, j’ai fait quelques rencontres ces derniers temps, dans différentes manifestations liées à la promotion du livre, et j’ai rencontré en effet des gens qui m’en ont parlé. J’ai eu un contact aussi avec quelqu’un qui travaille un petit peu avec différentes chaînes de télévision et qui aimerait me rencontrer pour discuter. Après, pour le moment, je suis vraiment dans l’écriture, j’ai envie de m’y consacrer pleinement. Maintenant, j’aimerais aussi beaucoup adapter, écrire des scénarios pourquoi pas plus tard. On verra en temps voulu. Pour l’instant, le truc, il vient de sortir, mais c’est vrai qu’il y a des scènes qui sont plus cinématographiques.
LR : Avec le succès critique de MachiAdam, est-ce que vous pouvez maintenant viser une carrière d’écrivain ? Est-ce que vous parlez de carrière? Qu’est-ce qui vient après ?
JH : J’aime beaucoup cela mais… Là, mon éditeur va me tuer, parce qu’il me dit « Tu parles toujours de Nelson Mandela », mais ce n’est pas grave. J’adore Nelson Mandela, j’ai lu sa biographie, comme je disais, je suis en train de m’imbiber de beaucoup de ces mouvements révolutionnaires pour mon prochain roman 93 Panthers. Et à la fin de sa biographie, il explique qu’il est arrivé à la fin de son combat. Une fois sorti de prison, il a eu la sensation de s’être hissé au sommet d’une montagne. Il pensait avoir terminé. Et ensuite il a tourné la tête, et il a vu qu’il y avait un paquet de montagnes qui l’attendaient encore. Je me situe là en fait. Je n’ai pas pris MachiAdam pour une finalité. Pour moi c’est juste une étape.
Je pense que je vais être attendu pour le deuxième roman. Après, j’aime aussi l’image du boxeur : quand tu as un titre, tu as combattu… Là je te dis, j’ai qu’une idée, c’est d’y retourner, de terminer… Oui, j’ai vraiment envie de faire une carrière.
LR : Est-ce que vous voulez rester dans le roman noir ?
JH : Vous savez, je le dis franchement, même moi, je ne me considérais pas comme faisant du roman noir. Après, le roman noir, c’est ce qui colle plus, c’est la définition de Machette qui disait « Le roman noir est une histoire de critique sociale qui prend pour anecdote une histoire de crime ». Pour moi, je n’écris pas de thriller. Pour moi, c’est la noirceur de l’âme humaine, le pouvoir, les notions de rapports humains et faire tomber les masques.
Jilali Hamham: Aujourd’hui, alors que son livre vient de sortir, Jilali Hamham travaille d’arrache-pied sur ses prochains projets, l’ambitieux 93 Panthers (autrement dit, les Blacks Panthers du neuf trois). Il vient aussi de créer avec Karim Madani, édité chez Gallimard Noir, le binôme « CrackZeinberg Factory », dont l’objectif c’est de « plancher sur différents projets de série TV ! ».
Interview with Jilali HamHam, writer of MachiAdam*
* Translated from original French by: Alisa Belanger
I met with Jilali Hamham in Angers some months after the publication of his first novel, MachiAdam by the editor Rivages/Noir. He gave me a tour of his city, showing me the library where, as a young boy, he checked out as many books as he could, as well as the university where he studied and the downtown places that he holds dear. I also spoke with a café manager at Monplaisir who watched Hamham grow up and with the bookseller who supported and followed his novel’s development. At the end of the day, we sat down long enough for an interview. During our chat, Hamham talked about his first text Suffering [La Souffrance] (2006), written while he was a student of Applied Foreign Languages at the University of Angers, and about his long-standing passion for reading and literature. When we began to discuss MachiAdam, I was above all struck by the ordeal that Hamham underwent before finding an editor. Hence, I retained that story, a type of thriller in itself, in its entirety. Hamham has a verbal gift: he weighs and calculates each word. Just as his writing interspersed with exclamation points suggests, he is zealous in and for life.
In MachiAdam, the reader meets a talented young man majoring in languages, madly in love with the charming Marie-Anne. Yet, he grows tired at times, wonders where his studies will lead, and thus fails to see the point in persisting. There comes a time when he must choose between following the path of his studies or siding instead with quite delinquent friends who ask him to join in a drug run to Morocco. Attracted by the cash and excitement of drugs, Adam decides to enlist Marie-Anne in his trafficking scheme, abusing her naivety and trust. Thanks to her, he can look like he’s traveling for romance, so as to cross the border more easily. Yet, once in Morocco, Adam is quickly surpassed by the cruel intelligence and premeditated plotting of this drug world.
With Adam, Hamham created an unforgettable protagonist who plunges into an underworld. Will Adam know how to survive? Will he find the antidote to evil? The story of this descent into hell is the story of MachiAman, a novel that pulsates to a breathtaking rhythm.
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Laura Reeck : How long did it take you to write MachiAdam, a rather long novel?
Jilali Hamham : The first part of the novel must have taken me a year, maybe a year and a half. I wrote the second part of the novel in four months, since I had already been in contact with François Guérif. Even I was surprised that I finished it off really in four months. I was really boosted. You know, the best fuel is confidence. When there is someone who says “I believe in you, you’re going to do it…”
LR : So you didn’t submit the entire manuscript…
JH : I only had the first part!
LR : Could you describe in a few words how you found your editor, Rivages/Noir ?
JH : Truth be told, the literary milieu is a rather exclusive milieu. I don’t really like to play the victim, but there are still some realities that must be pointed out. It’s like an incestuous sect, a very closed circle. It’s often the “sons of” or the “daughters of” who have access to publishing. I already had a little experience through my essay that had been printed by an editor with self-publishing, so I had invested my own funds, etc. I had brought it myself to conferences. Everywhere I went, I brought my books, I put up poster campaigns in Paris, I even received some fines and everything… I had understood that, in order to move ahead, it was really necessary to be part of a large group, a big machine. I analyzed the milieu a bit, and I had already received some negative replies. But I don’t think those guys had taken the time to read…
I pursued my thoughts a bit, and I said to myself: “What do I have to do to make it?” I really believed in myself and in my text, my inclination naturally bent towards the collection Rivages/Noir, with an editor named François Guérif. I analyzed all of his interviews, I watched his videos, I listed all of the hooks on paper, the ideas that were likely to attract his attention. Next, I sought to meet him, but not under just any pretext; in fact, I pretended to be a journalist who had just created a fanzine, etc., who wanted to do my release with him… Since I didn’t have his email, I practiced on another publishing house to see the system a little, how you went from one floor to another to arrive at le dernier, the last floor, where the boss sits. Afterwards, I managed to get the email. Then, ricocheting off the experience that I had acquired from that attempt, I called Rivages. After two or three different people that I dribbled a little bit with words, I managed to get a hold of François Guérif’s email. I wrote a message where I presented myself like the journalist, etc. I had even submitted ten points that we were really going to discuss, I had planned on forty minutes, etc.
So I send the message, I don’t hear back right away because James Ellroy [an American crime novelist] was in the middle of a promotional tour in France, so he didn’t have a lot of time. After about fifteen days, he replies. After a few exchanges, he says to me : “Yes, call me on such-and-such a day.” The day in question, I had left for university, there were two closed-off common rooms to be sure that no one would hear me in case it went badly… It was a war council: I had two computers with sentences in 48-point font in front of me—the sentences not to forget—, notes to my right and left, a ball of stress, too, in my stomach, and I take the phone and I call at the foreseen time. There, I fall on the secretary who tells me to call back in five minutes. My stress left me in that first call, which means that I was operational for the second call. On the second call, I fall on François Guérif. I don’t even give him the time to say a word, I say to him: “Thank you for accepting my method” so that he won’t start in on questions, etc. and so, there, he asks me to choose between two dates, he specifies that the last date, he’s leaving on vacation afterwards, so I told myself, “Better to take the last meeting so that it’s fresh later while he’s on vacation.”
That’s it. I hang up after, even before we talked about anything. Afterwards, I begin to prepare my manuscript: in an interview, I had seen that he paid definitive attention to the ten first lines. For him, ten lines were enough to judge the quality of an author. So I had to rework my text… I really hesitated at that time about one part that I really wanted… I actually had too much of a Balzacian tendency to ease slowly into my subject, and I saw by necessity that cutting was absolutely required. So I reconfigured my text, I corrected it, I printed it and, accidentally, the text came out in landscape format, so when I was putting away my sheets, I was really very annoyed to have to reprint everything and, actually, I said to myself “No, I’m going to do it in landscape format. This way, when I bring it to him over there, he’ll take it with him on vacation in the plane!” It was one of those little signs—I’m a tad mystic, I have a little mystic who often escorts me, I pay a lot of attention to signs, and I took that to be a sign.
I should in fact explain that all of this was done under a false identity—false email, false last name, false first name, everything, all of it. So, later, I make a meeting in Paris, I leave from the train station in Angers, I prepare my texts, I disembark in Paris, I have a friend who was waiting for me other there, we head to a café, I review my notes. I turn up at the meeting, I gain entrance to Rivages, I ran into four or five head honchos of show business… I already saw that there was a lot of paleness, it was white… I went in, I introduced myself. The secretary took one glance at me, she called François’s personal secretary. At the last moment, before hanging up, she was told that, yes, indeed, there was a meeting. So she showed me the office. I entered, there was François Guérif in front of me, imposing, in his leather chair, lounging. There was a young woman behind him who was rummaging through the bookshelf a little bit. I look at François Guérif, who had already made a strong impression, because I was so used to seeing him… In fact, he was like a godfather: I saw him in videos, by virtue of re-watching them, reading all of his other articles, I knew him. Having him in front of me, it was another thing. I said to him: “I thank you for welcoming me, it proves that…”
And he says, “It proves what?” and, there, I draw a blank, I no longer know what to say and, then, I say, “It proves that you have known how to remain humble despite your success.” He said to me, “I hope,” laughing. Then, I curse myself of having had this idea, “But what am I saying” … Next, I put my briefcase down in front of him, and I didn’t want to speak in front of the secretary, so I made myself waste time to collect my sheets of paper, and the seconds dragged out slowly, ever so slowly! You have no idea how slowly! Next, the secretary leaves, I find myself facing him, but I saw that there were also a lot of comings and goings in the hallway… so, there, I turn towards him, I say to him, “Excuse me, would it be possible to close the door?” He says to me, “Sure, please feel free.” I close the door, there I am, one on one, facing him. It was the money time, as Americans say. That’s where it all played out.
I say to him, “Listen, I’m going to introduce myself, so that you know who I am and where we’re going.” And I think that, there, he must have asked himself, “But what is this guy talking about? Why is he talking to me about knowing him?” And so I started like this: “Dear sir, in preparing for this interview, I consulted a certain number of interviews conducted with you. One of them especially attracted my attention. You made reference to risks, which can be surprising when a person edits a collection about gangsters… And if this article spoke to me more than another, it’s because, me, I took a very big risk this morning.” And there he collapses on his seat, and he was all game, he said to me, “Oh yeah? You took a big risk this morning? But what was the risk?” And, there, I look at him: “Here goes, I took the risk of coming here under a false identity in order to give you this.” And I plunge my hand into my bag, I pull out the manuscript, and, like I was saying, I could’ve pulled out a pistol, it would’ve been the same thing, and I take out the manuscript, I hold it out. And, there, he was a great gentleman, he relaxes even more on his seat and says to me, “I’ve got to give it to you. I’ve got to give it to you.” Then he moves forward, he holds out his hand, he takes the manuscript, he looks at me, he says to me, “I’m going to tell you something, though. You took a very big risk, indeed. But I will judge only by this.” He waved his book, intimating to me that he would only judge by the words written. He then explained to me—he was very smart and psychological. He wanted to prepare me for a rejection, explaining to me that Rivages received as many as a thousand manuscripts a year, that it was very rare that they published one, etc. I tried to tell him that I wanted to leave from there just with his word. And he gave me his word. I said to him, “Listen, if you give me your word, I’ll leave with it.”
So he took the manuscript, I gave him another one for his son who works with him (Benjamin). I left, I was satisfied but… well, you can never know how people react after the fact. In the exchange, I had still specified that I had already put out an essay, I had brought the cover of the essay in question to him so that he wouldn’t say to himself that I came out of nowhere and that’s it… quite simply. I received a response after fifteen days, an email. And I assure you that the fifteenth day, I no longer believed in it. For me, after 24 or 48 hours, in general, there was a response. Fifteen days, I didn’t believe in it anymore, so I was really very negative. And then, I actually had a dream—not a premonition: I saw myself in their office, they were handing me a sheet where there was written—it’s weird—but there was written “The Arab” with two +. And he says to me, “Yeah, it’s just that I was on vacation.” And the next day, upon awakening, I went to my inbox, but there was nothing. At the end of the day, though, I return, and there I come across the message where he explained to me that the tone and style were surprising—word for word—and that he absolutely needed to know the rest because he was in the middle.
So, then, they gave me a meeting, there, I had a meeting with the son… and, that’s it.
LR : In this novel which is often classified as a detective novel or noir fiction, the reader is unaware of the plan under way–meaning, we don’t know what is going to happen because even the main character, Adam, doesn’t know what is going to happen. Everything occurs from meeting to meeting to meeting, which means that there is no real plotline that may be followed…
JH : Well, I insisted on having a separation between Book One and Book Two. The first allows me to pass along comprehension keys to the reader. I give him all of the codes, because, often, it is truly necessary to get to the bottom of things in order to analyze them better. I wanted to provide the personality of the character, his social origins, all of the psychological analysis, all of the wounds of childhood, and to show a little bit of the environment where he grew up. It was really like a puzzle: I put things in place, but in a very, very precise manner. Next, the events really begin in Book Two. With the comprehension keys, people rediscover the characters coming from the first book in the second one. Then, a sort of oscillation arises, there is truly a caesura, which was crucial, in my eyes. In sum, the first volume is a puzzle where I pan ahead, and the second is action, where it starts.
LR : In relationship to the use of italics and footnotes, were they something that you wanted to do, or was it your editor who asked you to add them? And why did you opt to explain, to translate?
JH : My book, I forge it a little bit like a recording, a recording of the pulse of France, meaning that the goal is to capture France through its language. And I know that France today is a country which grows richer from one day to the next thanks to immigration. It has brought its share of words, etc. There is truly a vocabulary that has been enriched, and I wanted to make this French side apparent—the manouche language, the speaking… This kind of relates to the first name Adam El Qalam. El Qalam stands for pencil, for speaking. I wanted a character who had, by way of his uniqueness, one foot in every setting, and who could adapt his vocabulary according to the person with whom he conversed. There is a very great author who said, “Richness is not about knowing the maximum number of words; instead, richness is about knowing how to adapt discourse to a listener.” And Adam is like that. For me, Adam is the way to make France discover the different layers of the country. The footnotes, they were really to stick to credibility. I consider it extremely important. This morning, we came across a friend of mine who was somewhat immersed in this setting, that I knew when we were a bit younger. It was for that type of guy. When that guy reads the book, I want him to say to himself, “This bloke, he’s not kidding. This is really how it happened.” And I added the translation so that the people who don’t have access to this slang will be able to understand, to get a touch of the meaning. And, really, I want it to be credible.
LR : Here is a quotation from Sun Tzu: “All warfare is based on deception.” If there is a war in this novel, what war is it?
JH : An identity war. The identity war that divides Adam in two. There’s the good side and the evil side. On the one side, as I was explaining earlier, Adam comes from a cement background. In Hebrew, “Adam” means “the clay sculpted by God,” so he wants to mould his future himself. Hence, he rebels against his surroundings and the war that he wages is a war of the unconscious—between good and evil: a part that loves Marie-Anne and the French part, and the part that feels excluded in France, that wants to rebel and whose only cause is money. A soldier, he’s a soldier of fortune whose sole motivation is money. And the Machiavellianism which shows that he’s a thoughtful individual. For him, revolt is not about burning cars, but taking money.
LR: The character of Hadj Hakim, Adam’s uncle, represents a gap between generations within the same family. Could you comment a bit on his role in the novel?
JH : He is someone who has a certain wisdom despite himself, who has a strength, who imposes respect on those who see him and who, unfortunately, is completely overwhelmed. Him, he’s a person who grants a lot of importance to human relationships, sincerity, spirituality, and when he sees young people who spend their time on the streets, he explains to them that, necessarily, you will not retain good things from spending time on the streets. Despite himself, he still tries to outline the risks. He isn’t listened to because people only have one religion: the euro, the dollar. For them, the only way to exist is to have in order to be. There’s no time for engaging the mind. “Hakim” comes from the word for wisdom. He therefore offers Adam the basket with the apple. It’s symbolic, explaining to him, “Take this, you have your life between your hands. It’s up to you to put it to good use.” And, sadly, what will happen is later shown. But, yeah, there is a true break, and this break makes it so that dialogue is impossible. Others think he’s crazy, others think that he’s someone from a completely different age and completely disconnected.
LR : In the novel, there are two parts. It could be said that there are even two jungles: one in France and one in Morocco. Hence, I would like to ask if these two worlds, in the novel, function according to more or less the same rules. Basically, nothing is sacred in these two parallel universes, or rather do you think that there are new sacred values? Are these worlds without values, or are there instead new values? Even if they’re negative…
JH : I would say utopian values. To take the specific case of France, if we refer to the texts—whether it be The Declaration of the Rights of Man and of the Citizen, etc.—there is no concern. There is no difference between citizens. They are born and remain free and equal in rights. Now, that’s the reality of the text, only the text. If we refer to reality on the ground, there’s hypocrisy. The uniqueness of people from foreign origins is that they wear their origins on their foreheads. So there is a degree of hypocrisy because those people carry a sort of glass ceiling above them. At one time, they were not allowed to emancipate themselves except by manual labor. Next, little by little, they managed to raise the glass ceiling up to the sales profession. Regrettably, it’s not yet enough. I find that there is a white elite, mostly masculine. When compared to the majority ofthe population, there is really a gap, an interminable distance. I think that there’s a mentality in France… It’s a France that is a bit fossilized, that folds in on itself, is afraid of difference, afraid of the other, which always kind of blocks the country. That’s precisely the difference with the Anglo-Saxon mentality, where individuals are judged by their abilities before their color. It’s not surprising that there are enormous businesses like Google, Yahoo, Facebook etc. which emerge among you, because they go to find talent where it lies. In France, we have talents but, unfortunately, there are those who have to strain… Me, I have to pretend to be a journalist… Do you see what I mean? We have to work ten times more than others. It’s tiring.
LR : It seems that the characters are willing to do anything for money in these two parallel French and Moroccan worlds. Is the sacred value in the novel not money?
JH : For me, it’s more of a struggle for power. Let me explain a moment when Adam returns to his neighborhood. He is with young people, Moustafa l’Africain tries to reason with him and explains to him, “Listen, today, everything is business. Even politicians do business. They’re the ones who are the models.” Today, the true delinquents have a tie, and they asphyxiate, not with an arm, but with a signature. And there’s no comparison with the guy who is going to steal a car radio. And, lamentably, when you go to court, the guys who stole car radios receive strict prison sentences, while the guys who stole the wealth of the State, who confused their pockets with the State wallet, receive probation. So it’s just hopeless.
Then, it was another issue concerning Morocco: to show the hypocrisy of people, meaning, well, there is a belief that is purported, etc., but in practice, money is what dominates, it’s really the password that opens doors. It was important for me to say that also in France…
LR : So you wanted to develop two forms of hypocrisy in these two worlds.
JH : Exactly. Around the values of money and power.
LR : The end of the novel takes the reader’s breath away, it’s impressive. Does Adam regain his honor at the end of the novel? Does he start over with basic morals? At the end of the novel, does he find redemption?
JH : Yes and no. Because it’s too late. And, unfortunately, he will pay. Since he is constantly torn between two worlds, he never manages to find his place. His final gesture is beautiful, and it was important to me to end that way. It’s a noble gesture, and it was metaphorical, too.
LR : But it was too late.
JH : It was too late. It was metaphorical, for me, to the extent that the final scene—because I consider symbols to be highly important—takes place at the border. He gets caught at the border between Europe and Africa. Hence, considering his philosophy of life, between good and evil. The good, his love for Marie-Anne, and the evil, the Machiavellian plan that he tried to carry out. So he is split between these two waters. And the fact that he didn’t succeed in choosing earlier is fatal to him. Because, at one moment or another, a choice must be made, and he didn’t manage to choose, so he is condemned to his downfall. The underlying metaphor is that when you’re from an immigrant background, you can say that you’re Senegalese even though you’re of Senegalese descent, but the truth is that you’re attached to your country, and your country, whether you want it to be so or not, is France, because you grew up here. You spend your vacation in the old country, after fifteen days, three weeks, you already want to return home… Then again, it’s true that it’s not easy, because, here, you’re not necessary accepted, but the difference resides in the gaze of the other. It’s the gaze of the other that pushes you to feel your dissimilarity. Because you cannot feel it yourself.
In terms of stylistics, there is the foreboding dream and the sentences repeated at the end. I liked them from a literary standpoint.
LR : Currently, the French press is focusing on drug trafficking, clans, new mafiosos, the caids replacing Corsians in underprivileged suburbs [banlieues], etc. To what extent did you perceive that the subject of this book was going to be compelling at the very moment when everyone was addressing such topics?
JH : It didn’t shock me, considering that people actually always talk about it. It comes up constantly. Unfortunately, the real gangsters wear suits today. No one can reproach anyone locked up today—I’m not saying that I condone that type of behavior, but I can explain it—anyone who is locked up in a neighborhood jail. Earlier, you saw, we visited the neighborhood of Monplaisir, you saw how it was. In my book, I explain that the neighborhood swallows up its inhabitants like a bathroom sink emptying down the drain. In other words, there’s a branch of the town hall, a shopping mall… everything is constructed so that the person never leaves. Hence, at some point, there is a break with the other portions of the population, there is another code put into place. As a result, people seek out money because they want to exist. I myself have a hard time arguing today with little youths, telling them “Go to college.” They’re going to ask me, “Why would I bother to go enroll for five years of studies?”
LR : In the novel, the two worlds of the school and the street merge, because Adam went to college, he was part of the university system…
JH : Adam has a remarkable university career. And, sadly, he failed to showcase his skills. He was unable to thrive on the job despite his level, because when you have a Master’s degree, it’s intolerable that you be offered work in manual labor, it’s completely insane. Therefore, giving young people speeches to tell them to work hard in school to earn diplomas… They laugh in your face today. They tell you, “But why would I hit my head against a wall, So-and-so has a Master’s degree, he works in a pizzeria. Leave me alone, I’m going to get the money where it can be had and that’s it. I don’t want to waste my time.” Theirs is a slightly nihilistic vision. We were discussing it before, I was showing you the building that blocks the horizon. That’s really the image to retain: a blocked horizon.
LR: It’s also the image that opens the novel…
JH: Exactly. The cement in the first pages.
LR : Do you fear that your book be seen and read as a defense of crime and criminal activity?
JH: I see what you mean. In my opinion, there was no black and white. For me, everything is grey. Because a good person necessarily has a bad side, a bad person still has a good core.
LR: The mastery of the dialogue and rhythm of the story make MachiAdam a profoundly cinematic novel for me. And I think that the soundtrack is already there. Do you have a plan for adapting this novel to the screen?
JH: Like I was telling you, I’ve had several meetings lately in different events related to the promotion of the book, and I indeed met some people who talked to me about it. I also had contact with someone who works a little bit with various television stations and who would like to meet with me to discuss it. Yet, for the moment, I’m really into writing, I want to dedicate myself to it entirely. That said, I would also really like to write adaptations or screenplays someday, why not? We’ll see in good time. For the moment, the thing is that the novel just came out, but it’s true that there are some rather cinematographic scenes.
LR: Given the critical success of MachiAdam, can you now envision a career as a writer? Do you think of it in terms of a career? What’s next?
JH : I really like that but… Here, my editor is going to kill me because he always says, “You talk about Nelson Mandela all the time,” but it’s fine. I love Nelson Mandela, I read his biography, as I was saying, I am immersing myself now in a lot of those revolutionary movements for my next novel 93 Panthers. At the end of his biography, he explains that he reached the end of his struggle. Once freed from prison, he felt like he had hoisted himself to the peak of a mountain. He thought he had finished. Then, he turned his head and saw that there were a pack of mountains still waiting for him. I actually find myself in that position. I didn’t consider MachiAdam to be an endpoint. For me, it’s just a step.
I think that the second novel will be expected from me. Then, I also like the image of a boxer: when you have a title, you’ve fought… Well, let me tell you, I have only one goal: to return there and to finish… Yes, I really want to build a career.
LR: Do you hope to continue writing noir fiction?
JH: You know, I’m saying this frankly, even me, I didn’t think of myself as a crime novelist. It turns out that noir fiction is what fits the best, based on Machette’s definition that “The noir novel is a socio-critical story built upon the anecdote of a crime story.” In my view, I’m not writing a thriller. For me, it’s the darkness of the human soul, power, notions of human relationships, and making masks fall.
About Jilali Hamham: Although his book was just recently released, Jilali Hamham is now working non-stop on his next projects, the ambitious 93 Panthers (meaning, the Blacks Panthers from Seine Saint-Denis). He also recently created with Karim Madani, published by Gallimard Noir, the collaborative pair “CrackZeinberg Factory,” which aims to “check out different TV series projects.”