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    Academic Journal

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    ISSN: 2330-510X, November 2013, Vol. 1, Number 1
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    « Gbê est mieux que drap » : la musique urbaine, le nouchi et la révolte des jeunes en Côte d’Ivoire depuis les années 1990

    Contributor: Germain-Arsène Kadi

    • November 18, 2013

    Academic Journal · Academic Journal: November 2013 (Issue: Vol. 1, Number 1) · Arts · Culture

    Introduction

    Parallèlement à la crise sociale et politique qui secoue ce pays d’Afrique de l’ouest depuis deux décennies, la musique urbaine des jeunes a connu un développement prodigieux en Côte d’Ivoire. Un tel phénomène ne peut être mieux compris qu’à la lumière de la sociologie des faits musicaux. Cette démarche consiste à appréhender « le fait musical comme une totalité sociale[3] » et à l’analyser dans sa relation avec le contexte global d’une période donnée.

    Naguère considérée comme la vitrine économique de l’Afrique de l’ouest francophone, la Côte d’Ivoire est en ce début des années 1990 un pays au bord de la banqueroute. Elle n’a d’autres choix que de mettre en place une politique d’austérité. Celle-ci déclenche de grandes manifestions des syndicats et de la société civile[4].

    Avec l’échec de la réduction des salaires, la baisse des engagements financiers de l’État ivoirien s’orientera vers d’autres secteurs comme celui de l’enseignement supérieur. Il s’agit, entre autres, de la réduction (et la suppression plus tard) des cars de transport spécialement affrétés aux étudiants, de la réduction du nombre des boursiers, de la majoration du prix des tickets de restauration, du loyer en cité universitaire. Des mesures ressenties avec une certaine injustice par une jeunesse déjà confrontée à la précarité de la vie estudiantine et à la hantise du chômage.

    De même le déclenchement de la guerre civile en septembre 2002 entraine la partition du pays et une grande période d’instabilité et d’incertitude. Le système éducatif déjà mal en point connaît de sérieuses perturbations. La fermeture de plusieurs entreprises privées consécutive à la montée de l’insécurité et à la déstabilisation du tissu économique[5] entraine une hausse drastique du taux de chômage déjà inquiétant des jeunes. Autant de signes qui suscitent une forme de désespérance des jeunes, confrontés à des perspectives d’avenir de plus en plus incertaines.

    Dans un environnement urbain fortement marqué par la crise, ces deux périodes de grande incertitude provoquent une certaine métamorphose dans la musique. À l’ombre des grands noms de la musique ivoirienne comme Alpha Blondy, François Lougah et Aicha Koné, « griots modernes » de l’ère Houphouët, émerge une nouvelle génération d’artistes « en révolte contre la société ivoirienne [6]» dont les deux genres principaux sont le  zouglou et le rap.

    Pour le sociologue Alain Darré, le social est au cœur du processus de production musical. La musique étant le reflet de la dynamique sociale, son développement est inhérent aux différentes mutations de la société. C’est tout le sens de la prise de parole des artistes depuis l’instauration du multipartisme et l’exacerbation de la crise économique, sociale et politique. En ce qui concerne les rapports entre la politique et la musique, le sociologue note que la musique est « un support privilégié pour des formes d’engagements collectifs qui s’inscrivent fréquemment sur un mode de résistance à la domination culturelle et ou politique[7]. »

    Au début des années 1990, l’art devient alors le principal canal d’expression d’une jeunesse déboussolée et le français populaire ivoirien, la forme particulière de résistance au français conventionnel, langue de l’élite et des instances politiques.

    Les parents du campus : du désenchantement à la rupture sociale

    À partir de février 1990, les manifestations sociales qui secouent Abidjan, la capitale économique ivoirienne, ébranlent le pouvoir du président Houphouët. Elles sont le prétexte pour l’opposition, encore clandestine, de mettre en évidence le déficit démocratique du régime ivoirien et aussi l’échec de sa politique économique. Soutenue par les étudiants, cette opposition dont les principales figures sont des universitaires, obtient la réinstauration[8] du multipartisme en avril 1990.

    Cette ouverture politique met fin à la crispation politique, mais la crise sociale demeure. Les étudiants ivoiriens qui ont participé aux différentes manifestations de la société civile ivoirienne[9] au cours desquelles étaient exigés notamment le rapatriement des capitaux frauduleusement acquis et la réduction du train de vie des tenants du pouvoir, se sentent trahis. Les revendications des fonctionnaires et celles des partis politiques ayant été satisfaites, ils ont l’impression d’être les seuls à subir les conséquences d’une politique hasardeuse de leurs aînés.

    Pour Christian Lagarde, la nation fédère les individus autour de références communes telles l’histoire, la culture, les idéaux, la langue, des perspectives d’avenir, etc. En échange de l’adhésion et de la fidélité à ces valeurs, elle offre aux individus qui le souhaitent la solidarité et la protection. Pour l’auteur, « la langue nationale, au même titre que l’hymne national, la fête nationale, le drapeau et autres symboles, constituent un signe de ralliement fort[10]… »

    Or les étudiants ivoiriens de l’ère post-multipartiste se sentent abandonnés de tous : de l’État, des politiques, de la société civile, en un mot de l’ensemble de la société ivoirienne. Il se développe alors dans les différents campus universitaires une conscience malheureuse dont la manifestation la plus éloquente est la naissance de la musique zouglou, à travers la création du groupe Les Parents du campus.

    Ce groupe voit le jour à la cité universitaire de Yopougon, dans la périphérie sud d’Abidjan. Les étudiants de cette résidence ressentent l’exacerbation de leurs difficultés existentielles avec une profonde amertume. Leur cité ayant été le point de départ des manifestations ayant entrainé quelques mois plus tard l’instauration du multipartisme[11]. L’intervention expéditive menée par une unité d’élite de l’armée ivoirienne en mai 1991 à la résidence universitaire de Yopougon et la dégradation progressive des conditions sociales des étudiants sont perçues par ces jeunes comme des mesures de rétorsion du pouvoir ivoirien.  C’est pourquoi la dénomination « Les parents » vient en écho à la situation d’orphelins de ces jeunes qui ont l’impression d’être seuls au monde. Cette communauté de destin renforce la cohésion en leur sein. Face à ce qu’ils considèrent comme la démission de leurs ainés, leurs parents, les précurseurs du zouglou entendent donner l’exemple et prendre leurs responsabilités de « parents » afin d’exposer à la société et aux gouvernants la misère du monde estudiantin :

    • Lorsqu’on voit un étudiant
    • On l’envie
    • Toujours bien sapé
    • Joli garçon sans produit ghanéen
    • Mais en fait il faut rentrer dans son milieu
    • Pour connaître la misère et la galère d’un étudiant
    • Oh bon Dieu
    • Qu’avons-nous fait pour subir un tel sort ?
    • Et c’est cette manière d’implorer le seigneur qui a engendré le zouglou
    • Danse philosophique qui permet à l’étudiant de se recueillir et d’oublier un peu ses problèmes[12]

    On est frappé par le changement notable dans la forme du discours des compositeurs du zouglou. En effet, « Gboglo Koffi », le titre principal de l’album des Parents du campus, foisonne de néologismes comme ndaya, wazari, gos soiyés, brèquer, de substantifs, de structures verbales et d’expressions français détournés de leurs sens premiers comme Cambogdiens, ça réussit, on libère, joli garçon sans produit ghanéen, etc.

    Enseignée depuis la classe de maternelle, la langue française, faisant office de langue nationale, constitue l’un des principaux vecteurs d’appartenance à la nation ivoirienne utilisé par les politiques et les élites. Alors, pour marquer son divorce avec la classe politique, les tenants du zouglou ont décidé de s’approprier le nouchi, une tendance du français populaire ivoirien qui a vu le jour au début des années 1980 dans le milieu des jeunes déscolarisés. Le nouchi est à l’origine,  selon Diégou Bailly,[13] l’expression du rejet du français académique et standard du système éducatif. La volonté cryptique et le signe de reconnaissance d’un groupe particulier sont, selon Jérémie Kouadio Nguessan[14], les principales raisons de la naissance de ce français atypique.

    La génération des étudiants des années 1990 qui reprend des termes du milieu loubard comme (go=jeune fille), (brèquer=draguer), exprime ainsi sa désaffection à l’égard du système politique et social et marque sa solidarité avec les exclus.  Mieux, grâce aux termes nouchi juxtaposés à un argot estudiantin naissant comme (ndaya[15]=aide financière insuffisante, Cambogdiens=étudiants non logés qui partage la chambre d’un copain, only for dogs[16]= repas de qualité médiocre servis au restaurant universitaires) cette musique exprime des problèmes spécifiques aux étudiants.

    Le nouchi utilisé par Les Parents du campus est construit à partir de néologismes (go soyés=jeunes filles démunies) (wazari= du riz de mauvaise qualité), de substantifs tirés des langues nationales ivoiriennes (Ndaya=jumelles en baoulé) ou encore des mots et expressions français connotés (joli garçon sans produit ghanéen=jeune homme élégant). Ce langage crypté crée une certaine connivence entre étudiants. Il s’agit là d’un véritable marqueur d’identité. À travers le mélange du français conventionnel et du nouchi, le zouglou se fait également l’expression d’une certaine habitude linguistique ivoirienne marquée par la diglossie[17]. On comprend mieux pourquoi dans l’exemple précédemment cité, les différents registres de la langue française côtoient des inventions lexicales spécifiques à la Côte d’Ivoire.

    Le nouchi est a priori un langage utilisé par des personnes en échec scolaire, donc dévalorisées. Vulgarisé par le zouglou, il acquiert un nouveau statut. Ainsi, avec le succès du zouglou, le nouchi, ce langage ésotérique naguère confiné dans l’amertume d’une jeunesse désabusée des quartiers populaires d’Abidjan, devient un véritable vecteur de dénonciation sociale, de combat. Pour preuve cette interpellation de l’autorité politique de l’époque :

    • Gboglo Koffi, savez-vous qu’ici en cité la vie est dure
    • On a trop de problèmes
    • Pour avoir Ndaya il faut bosser beaucoup
    • Ndaya qui est là ça suffit pas[18].

    Plus loin, ces étudiants s’indignent :

    • Dans la chambre, y a des Cambodgiens[19]
    • Les Cambodgiens ce sont les étudiants qui n’ont pas droit à la chambre, on ne sait pas trop pourquoi.
    • Parfois pour une chambre prévue pour un, on se retrouve à quatre.
    • À la cuisine y a deux dormeurs. Si c’est une chambre double, on est parfois sept. C’est ça les vraies réalités estudiantines[20] !

    Le titre de l’album « Gboglo Koffi » renvoie initialement au personnage du lièvre dans les contes populaires baoulé, une langue du centre de la Côte d’Ivoire. Mais selon Jean-François Kola[21], dans le  milieu estudiantin des années 1990, il fait implicitement allusion à la personnalité du premier président de la République de Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny. C’est que  le président Houphouët interpellé à travers cette chanson est très affaibli. Son pays est affecté par une crise économique sans précédent, lui-même est contraint au multipartisme après une mutinerie quelques mois plus tôt. Par ailleurs, le chef de l’Etat ivoirien est affecté par le poids de l’âge (85 ans) et une santé déclinante. On comprend aisément les raisons de l’exaspération estudiantine. En effet,  la détérioration des conditions de vie des étudiants est loin d’être une priorité pour un homme confronté à sa propre survie.

    Avec  le succès commercial[22] de l’album des Parents du campus, et dans la logique de la parole libérée de l’ère multipartiste, la dénonciation des problèmes politiques et sociaux s’impose comme la thématique de principale des artistes zouglou[23].

    Témoignage d’une jeunesse précarisée

    Jusqu’au début des années 1990, le système scolaire ivoirien est un système élitiste comprenant deux « goulots d’étranglement[24] » que sont l’examen d’entrée en sixième pour l’entrée au premier cycle du secondaire et le probatoire, examen de passage en terminale supprimé en 1990. L’inexistence de passerelle entre les différents cycles condamne inéluctablement les exclus du système éducatif à la précarité. La reforme de 1990 n’a pas suffi à offrir des perspectives d’insertion professionnelle au jeunes, dont la plupart basculent ainsi dans l’informel et bientôt dans la délinquance, comme le souligne cet article du quotidien Notre Voie repris par Laurence Proteau : « Chaque année, environ 67% (…) des élèves du CM2 sont jetés à la rue. Dans le secondaire, ils sont près de 60% à ne pas franchir le cap de la troisième et ils sont autant à être exclus de la terminale (…) la grande masse devient des délinquants qui contribuent à exacerber le sentiment d’insécurité généralisé.[25] »

    C’est au sein de cette catégorie de jeunes habitants pour la plupart dans les quartiers précaires de la capitale économique ivoirienne que naissent les groupes artistiques appelés Woyo, ou ambiance facile. Dans leurs chansons faites a capella aux sons des tam-tams, ils expriment déjà en français, en nouchi et dans les différentes langues maternelles ivoiriennes leur mal être, confrontés qu’ils sont à l’illettrisme, à la déscolarisation, à la violence et aux difficultés quotidiennes de toutes sortes. Cette musique n’a pas d’écho sur le plan national puisqu’elle n’intéresse pas les principales maisons de production de l’époque que sont Showbiz et EMI. Les chanteurs woyo ne peuvent par conséquent entrer en studio afin de mettre leur album sur le marché et espérer vivre de leur art. Confinés dans leurs différents quartiers, ces jeunes survivent en partie grâce aux maigres ressources tirées de l’animation des veillées funèbres.

    Avec l’avènement du zouglou, et la réhabilitation de fait du nouchi, cette jeunesse malheureuse va exprimer sa mélancolie en français populaire ivoirien. Le zouglou s’impose en peu de temps comme la musique de ralliement d’une jeunesse désillusionnée et le français ivoirien la forme particulière de cette révolte. Les chanteurs zouglou s’élèvent contre les maux qui minent la société ivoirienne :

    • Qui va nous sauver ?
    • Tu vas à l’école
    • Tu as eu tes diplômes mais tu vas t’asseoir
    • Tu vas chercher travail
    • Tu arrives dans ces bureaux
    • Tu poses ton problème
    • On te laisse on prend son frère
    • Soit on te laisse on prend son beau-frère
    • Parce que maintenant ils font pour eux en séfon [26]

     

    Dans le registre courant de la langue française, Petit Dénis stigmatise le chômage des jeunes, la corruption, le favoritisme, le tribalisme. L’usage du néologisme « séfon » confirme l’ancrage du zouglou dans le français ivoirien.  « Faire en séfon » revient à accorder la faveur de votre choix, à un parent ou à une personne issu de votre groupe ethnique. Cette pratique très courante en Côte d’Ivoire est même devenue une seconde nature dans le monde du travail à tel enseigne qu’un autre groupe zouglou, Espoir 2000, dira plus tard qu’à Abidjan, les ministères ressemblent à des « conseils ethniques[27] ». Le groupe en veut pour preuve l’importance de la famille Kouao dans l’administration publique :

    • Quand tu cherches travail, tu arrives dans bureau,
    • Directeur Kouao Denis
    • Sous-directeur Kouao Lucas
    • Secrétaire Kouao Chantal,
    • C’est une affaire de Kouao
    • Tu veux tu veux pas le séfonisme est calé[28]

    À travers les constructions (tu veux, tu veux pas= quoique tu fasses) et (le séfonisme est calé=le favoritisme est présent), Espoir 2000 stigmatise les proportions prises par cette pratique dans le monde professionnel. En conséquence, le favoritisme provoque une certaine angoisse chez la plupart des nouveaux diplômés ne pouvant obtenir la caution d’un parent haut placé dans l’administration publique ou privée.

    La  cherté de la vie particulièrement ressentie dans les quartiers populaires constitue un des thèmes de prédilection des musiciens zouglou, comme le groupe Poussins Chocs. Le refrain de leur album « Qui va nous sauver ici à Abidjan ? » est le même cri de détresse poussé par Petit Denis quelques années plus tôt. Les jeunes chanteurs sont si désespérés car même « si tu as cinq togos c’est la galère. Même crica, on dit tu es galère ». En effet, cinq togos=cinq cents francs CFA[29] et crica=mille francs CFA ne sont plus d’aucune utilité en raison de la flambée des prix. Or quelques années plus tôt, une personne seule pouvait s’offrir deux repas quotidiens (riz, attiéké, etc.) avec 500 F CFA et un couple avec 1000 F CFA. Une période révolue. D’où ce sentiment de désespérance car dans les quartiers populaires de la capitale ivoirienne, des montants aussi dérisoires constituent encore de véritables fortunes.

    Preuve de cette infortune, le récit de l’expérience vécue par Fifi, un membre du groupe Poussins Chocs. Le garba est un terme nouchi utilisé pour designer de l’attiéké, un repas fait à partir du manioc et accessible aux petites bourses. Ce plat constitue la base de l’alimentation dans les quartiers populaires. Mais lorsque Fifi se rend chez le garbatigui (vendeur de garba), il ne peut se procurer son repas :

    • Matin bonheur voici l’enfant Fifi
    • Petit Fifi devant garbatigui
    • Garbatigui bonjour
    • Voila mon kiningbin
    • Moi j’ai deux grosses
    • Il dit ça ne réussit pas[30]

    Ici, « tigui » est un suffixe malinké qui renvoie à la profession exercée. Quant au terme « kiningbin », c’est un néologisme  nouchi qui signifie littéralement « voilà tout ce qui me reste ». L’enfant Fifi ne dispose que de « deux grosses » c’est-à-dire cinquante francs CFA. Un montant dérisoire pour se procurer un plat d’attiéké. C’est pourquoi le vendeur répond que « ça réussit pas » ; cette expression française, détournée de son sens dénoté, marque en nouchi une fin de non recevoir.

    Petit Denis et les membres des Poussins chocs, tout comme Les Surchocs sont originaires de Gbatanikro, un bidonville située dans la commune de Treichville, à Abidjan. À l’instar des couches défavorisées, ces artistes ressentent cruellement la flambée des prix qui a suivi la dévaluation du franc CFA en 1994[31]. Les chanteurs zouglous résidant dans le quartier populaire de Yopougon comme Esprit de Yop, L’enfant Yodé et Système gazeur dénoncent également un système politique injuste et corrompu. Ils s’insurgent aussi contre la paupérisation croissante de la société ivoirienne. Cette prise de position est en réalité un témoignage puisqu’elle reflète leurs réelles conditions de vie quotidienne.

    Mais à partir de 1995, les artistes zouglous qui s’étaient, depuis l’avènement de leur mouvement, contentés de dénoncer les injustices sociales, ne peuvent rester de marbre face à l’échec du processus de démocratisation amorcée dans les pays francophones, cinq ans plus tôt. Le groupe Les salopards est le précurseur de cette tendance.

    L’engagement politique

    Après la critique sociale amorcée par Les Parents du campus, l’engagement des zouglous va prendre une nouvelle dimension avec Les Salopards. Les membres du groupe qui se font également appeler les « salauds de l’art » entendent se faire passer dans l’imaginaire social comme des bouffons du roi afin de dénoncer les limites d’un système ivoirien en pleine mutation[32]. Ils fustigent le statut quo politique en ces termes :

    • Même l’arrivée du premier fils de Dieu sur terre
    • N’a pas changé la misère de l’humanité
    • On est né dans pauvreté
    • Si on doit mourir poignon
    • Regardez ce qu’ils ont fait
    • Quand tu vas faire retrait
    • Arrivé là-bas même un chèque de 15.000 on dit ça passe pas
    • Les caisses sont vidées
    • Ahé mogos ya wari di [33]!

    L’arrivée du premier fils de Dieu sur terre est loin d’être une allusion à la tradition judéo-chrétienne. Les Salopards font plutôt référence à la prise du pouvoir du président Henri Konan Bédié à la suite de la mort de Félix Houphouët-Boigny, le « père » de la nation ivoirienne. Après deux années d’exercice du pouvoir, ces artistes estiment que ce changement de régime n’a eu aucune incidence sur la vie des couches populaires. Pour Les Salopards, ces populations sont toujours « poignon », c’est-à-dire misérables, en nouchi.

    D’où cette l’appel suivant « Ahé mogos ya wari di ! » : en langue malinké, « ahé » est une interpellation, « mogos » désigne les personnes, tout comme « wari » l’argent et « wari di » est une construction pour exiger son dû. L’expression « Ahé mogos ya wari di » signifie : « Rendez l’argent que vous avez volé ».

    À travers le titre « Regardez ce qu’ils ont fait », le groupe Les Salopards s’indigne de la gestion désastreuse des autorités politiques. Il stigmatise ainsi la corruption des élites, les détournements des deniers publics et leurs conséquences désastreuses sur la vie des populations. Mieux, ces artistes demandent des comptes en exigeant la restitution des montants abusivement détournés. Il s’agit ici de la reprise d’une revendication forte lors des manifestations sociales de 1990.[34]

    En dénonçant le système d’enrichissement illicite, caractéristique de la « politique du ventre [35]» en Afrique, le groupe Les Salopards pose, dès 1995, au niveau du zouglou et de la musique populaire urbaine en général, les jalons d’un engagement politique.

    Une orientation qui fera école. Outre Les Salopards, les principales figures du mouvement « zougloutique » au milieu des années 1990 que sont Les Garagistes, Petit Yodé et L’enfant Siro et, plus tard, Espoir 2000 et Soum Bill, se révoltent contre le système politique. Ces jeunes vont à leur tour faire des émules dans le rap ivoirien.

    Le rap abidjanais : les mots de la galère

    Le rap américain est héritier du courant musical des Last Poets. Il s’agit d’un groupe de jeunes musiciens afro-américains récitant aux coins des rues l’histoire des États-Unis, dont les héros sont des hommes noirs. Cette musique dénonce l’ordre social et politique des années 1960 au États-Unis marqué par la ségrégation raciale. Selon Georges Lapassade et Philippe Rousselot, les Last Poets posent les jalons du rap par « la revendication du chant comme cri », « l’argot et l’usage d’argot dans la rime », « l’éloge de l’homme noir[36] ».

    Pour Isabelle Marc Martinez, le rap qui s’inscrit dans la logique des Protest Songs, les chansons engagées des artistes blancs comme Bob Dylan et Van Morrison, prend une dimension particulière dans les années 1980 à cause de la « précarisation des afro-américains » pendant les années Reagan :

    L’existence dans les ghettos devient de plus en plus dure et leurs habitants se trouvèrent délaissés, oubliés du reste de la société. La délinquance, la drogue, la violence étaient le quotidien de Harlem et du Bronx. C’est cette condamnation en vie, cette prédestination à l’échec que vont dénoncer les chansons du rap[37].

    On comprend alors mieux le contexte d’émergence du rap abidjanais : la guerre et l’exacerbation des difficultés d’une jeunesse sacrifiée. Le groupe artistique Garba 50, précurseur du « rap abidjanais » est le chef de file du rap de la galère. L’appellation du groupe est très révélatrice à cet égard, car elle traduit les difficultés éprouvées par les populations ivoiriennes à se nourrir correctement. Autrefois pays agricole et prospère, considéré comme étant le grenier de l’Afrique de l’ouest, la Côte d’Ivoire est devenue un pays appauvri. Une situation particulièrement délicate[38] dans la ville d’Abidjan qui a accueilli plusieurs milliers d’Ivoiriens fuyant le contrôle de la partie nord du pays par la rébellion. Cette importante frange de la population, particulièrement les jeunes, doit de plus en plus se contenter d’un plat d’attieké de 50 F CFA : « on prend garba cinquante et ça nous envoie jusqu’à dix-huit heures.[39]» Une paupérisation consécutive à l’inflation générée par la guerre.

    Garba 50 fustige la précarisation galopante de la société ivoirienne, marquée par l’existence d’une autre catégorie de citoyens, non pas en échec scolaire, qui peinent à se procurer un seul repas par jour. C’est cette classe « clochardisée » à cause de la crise que décrivent amplement les chefs de file du rap abidjanais :

    • Hum galère, c’est toi qui me fais bailler cohan !
    • J’ai même pas cinquante pour payer galette tellement ça ment
    • Si j’ai loke ce que je trouve c’est ça je mange
    • Moi j’ai quoi ?
    • Je suis toujours zango dans mon tricot rose c’est pas parce que j’aime ça
    • Mon sac troué est vide y a plein de cafards dans ma valise
    • Si je cotise c’est à Kouté je me braille
    • Pour manger à midi faut lancer cauris[40]

    Outre l’humour satirique des textes « zougloutiques », on retrouve ici, chez les précurseurs du « rap abidjanais », des constructions spécifiques au français populaire ivoirien tels les néologismes suivants : (cohan forme contractive de comme cela), (loke=la chance)  en référence au terme anglais « luck »,  (bakroman=enfant de la rue),  (être zango ou encore  se brailler = être bien habillé ). On note aussi quelques expressions françaises connotées comme (ça ment=c’est difficile) ou encore (moi j’ai quoi ?= je ne m’embarrasse pas de scrupules).

    Par ailleurs, à travers l’allusion au jeune homme « zango » (habillé) en tricot publicitaire ou encore  qui se « braille » (s’habille) à Kouté (marché de friperie dans le quartier de Yopougon), le groupe rend compte de la prolifération de la vente d’habits usagés dans l’ensemble de la ville d’Abidjan. Les maigres ressources des ménages sont affectées à des besoins primaires comme l’alimentation. L’achat d’habits neufs devenant presqu’un luxe, les populations se ruent naturellement vers les habits de la friperie, importés des pays occidentaux et asiatiques.

    À l’opposé, ces artistes ne manquent pas de révéler la situation d’une certaine catégorie de privilégiés épargnés par la crise, notamment la classe politique. Cette dernière continue de prospérer et de vivre dans l’opulence, bien loin des réalités de la population qu’elle est censée représenter. D’où cette construction antithétique des rappeurs ivoiriens : « y a des cuisses dans le bec des politiciens, et puis dans le ventre du peuple y a rien[41]. »

    On constate que « Garba 50 » marque véritablement le nouveau virage social du rap ivoirien. Après le succès de leur premier album « Galère » sorti en 2005, le groupe revient sur le marché deux ans plus tard. Il se fait encore l’écho de l’état de morosité de la société ivoirienne. Cet engagement s’explique par le fait que les membres du groupe Olly et Sooh sont nés dans la commune de Yopougon, précisément dans le quartier précaire appelé Doukouré. En 2007, Sooh à l’état civil Vazoumana Diomandé est étudiant en Maîtrise de droit. Son compère Christian Djibro alias Olly est inscrit en Licence de sciences physiques. Ces deux étudiants qui vivent dans l’un des multiples bidonvilles construits en baraques de bois dans la capitale économique ivoirien, sont les symboles mêmes d’une génération piégée par plusieurs années de crise sociale et politique. Ces jeunes instruits, qui sous d’autres cieux auraient pu vivre décemment, sont confrontés à la galère au quotidien. Ils se font naturellement les porte-paroles d’une jeunesse ivoirienne qui souffre.

    • C’est galère qui va me rendre fou
    • Ça veut me tuer
    • Ça a lapé mon pantalon comme un you de la sotra
    • Je regarde devant je regarde derrière
    • Y a pas quelqu’un pour me soutra
    • Yé comprends pas
    • J’ai fait quoi ?
    • Yè allé à l’église
    • Dans toutes les mosquées
    • Pour chercher le kloiba où j’ai chié[42]

    À l’instar de « Gboglo Koffi » des Parents du campus, « Ça a aller » de Garba 50 est un mélange de français standard et d’expressions nouchi comme (ça lapé mon pantalon=la galère me tenaille) ; (un you=un policier); (soutra quelqu’un=lui venir en aide) ; (yé=je ; yè=je vais) ; (kloiba =vase de nuit), l’expression (chier dans une église ou dans une mosquée=vivre une malédiction liée à la profanation d’un lieu saint).

    À travers cette peinture sans concession du désespoir suscité par la paupérisation grandissante à Abidjan et dans l’ensemble du pays, ces jeunes artistes qui sont les yeux et les oreilles de la population, expriment leur solidarité avec l’ensemble des personnes qui souffrent. Ils traduisent ainsi le sentiment général des Ivoiriens sur l’inefficacité, voire l’inexistence des politiques publiques de lutte contre la pauvreté :

    Lorsqu’on sollicite la population pour évaluer la pertinence des politiques mises en œuvre en termes de lutte contre la pauvreté, le bilan est assez mitigé. Un peu plus de deux tiers estiment que ces politiques donnent quelques résultats. Mais ils ne sont que 19% à être réellement convaincus de ces politiques. Ce doute est partagé par l’ensemble de la population quelque soit son niveau de revenu (les plus pauvres qui sont censés bénéficier des mesures ne sont pas plus positifs dans leurs jugement)[43].

    À l’instar des jeunes chanteurs zouglou issus de Gbatanikro qui, dans leurs textes, exposent les difficultés sociales des leurs, les membres du groupe Garba 50 lèvent un coin de voile sur la précarité des « Sicobois[44] » de Yopougon et de l’ensemble des quartiers précaires de la capitale économique ivoirienne. Ce témoignage unanime de la misère illustre éloquemment l’échec des différentes politiques sociales ivoiriennes de ces deux dernières décennies.

    On comprend alors mieux pourquoi le thème de la misère trouve un écho favorable chez d’autres jeunes rappeurs comme Sans Soi et Billy Billy. Ce dernier vit également à Yopougon, précisément dans le quartier précaire de Wassakara, encore appelé Yaoséhi. À l’instar de Garba 50, son deuxième album sorti en 2007, évoque le quotidien des habitants de son « Sicobois ».

    Dans la promiscuité de Wassakara

    « Allons à Wassakara, mon fils, il dort dans villa. » Tel est  le refrain de la chanson de Billy-Billy, « Allons à Wassakara[45] ». La construction « mon fils, il » peut à juste titre sembler redondante aux puristes de la langue française. Il s’agit d’une formule du français de Moussa[46], une autre particularité du français populaire ivoirien qui est le fait de personnes âgées et d’illettrés, contraints d’utiliser la langue française pour des besoins de communication, ayant tendance à répéter le sujet pour des fins de précision. Ce langage est révélateur du prétexte de la chanson de Billy-Billy : la visite d’un père éprouvant des difficultés dans son village et qui naturellement vient solliciter l’aide de son fils travaillant à Abidjan. Preuve de la réussite professionnelle de ce dernier, il vit dans une « villa » dans le quartier de Wassakara. Le clip réalisé pour assurer la promotion de l’album, montre l’arrivée du père en ville. Assis dans une brouette rebaptisée « Wassakara Air Line » le visiteur découvre un paysage « pittoresque » avec un enchevêtrement de maisons et une insalubrité ambiante.

    Ce décor filmique anarchique est en réalité caractéristique des quartiers précaires de la capitale ivoirienne. Cet environnement chaotique s’explique par le fait que « ces zones interdites de construction ne sont pas prises en compte dans les programmes d’aménagement urbain de la commune[47]. » Chez son fils, le vieil homme constate désabusé que la maison est très loin des commodités d’une villa. Il est surpris par les nombreuses chaussures exposées sur le pas de porte. À peine installé, c’est au tour de son petit fils de lui dresser le chapelet des difficultés auxquelles est confronté son fils.

    Dans le rôle du petit fils, l’artiste confesse à son grand père que  « pa » (son père) ne sait plus à quel saint se vouer parce que leur « maison est gbé de gens » (en nouchi, gbé=remplie). Une surpopulation que l’enfant explique à leur hôte en français ivoirien : «  On est plus beaucoup que les assiettes de la maison » et il n’hésite pas à comparer la demeure familiale à un camp militaire : « maison-là est gbé de guerriers, on dirait crachat dans la bouche d’une femme enceinte ». En préambule de sa chanson, l’artiste cite cette boutade nouchi : « c’est quand il fait nuit à Abidjan, on voit qui dort dans maison ». Une allusion en fait révélatrice de la pénurie de logements dans la capitale économique ivoirienne[48] ces dernières décennies. Une situation devenue particulièrement difficile pour les personnes pauvres. D’où la multiplication de bidonvilles dans des zones dangereuses[49] et une forte détérioration des conditions de vie des familles les plus pauvres.

    La résidence prise en exemple par l’artiste rap en est une parfaite illustration. Le père, ses deux épouses, ses enfants et ses petits fils sont confinés dans un logement insalubre, dénué du moindre confort. La nuit tombée, trouver la moindre place pour dormir relève du miracle, comme le souligne si bien l’auteur de la chanson : « il faut venir chez nous à minuit. Il reste petit seulement télévision va devenir lit. Ils sont accrochés on dirait akpani. Ya pas place pour l’homme ». « Il reste un peu seulement » renvoie en français populaire ivoirien à « il s’en est fallu de peu », l’akpani est le nom de la chauve-souris en baoulé. À travers cette construction diglossique, faite d’un  mélange du français standard et familier, et de nouchi, l’artiste met en lumière la précarité dans laquelle vit cette famille. Ses membres manquent de peu de se débarrasser de leur télévision pour faire de la place et dormir. Le grand père dépité par le récit de cette « ville  cruelle », décide de retourner dans son village.

    « Allons à Wassakara » n’est pas seulement une déconstruction du mythe du citadin prospère encore présent dans les campagnes. Le texte de Billy-Billy qui, à l’instar des rappeurs de Garba 50, dénonce aussi la famine à laquelle est confrontée cette famille de Wassakara, prend une dimension particulière dans le rap ivoirien. C’est que la musique de la chanson est une reprise d’un titre à succès du Laba-Laba, un genre tradi-moderne ivoirien, vulgarisé par Séhia Luckson Padaud. En reprenant la mélodie de la chanson « Téléphone », fredonné par des milliers de mélomanes ivoiriens au milieu des années 1990, l’auteur a à cœur de conférer une certaine identité ivoirienne au rap et d’élargir le message hip-hop aux amoureux de la musique de Luckson Padaud. Un pari qui permet également à l’artiste d’élargir la cible de son message. C’est un choix artistique fort judicieux si l’on s’en tient au succès de l’album de Billy-Billy, devenue la révélation de l’année 2008[50].  La chanson « Allons à Wassakara » a fait de la situation des quartiers précaires une thématique de la campagne électorale de 2010, comme en témoigne la visite chez l’artiste de l’opposant Alassane Ouattara, peu avant les présidentielles de cette année-là.

    Conclusion

    Dans son roman, Les soleils des indépendances, paru pour la première fois en 1968, le narrateur d’Ahmadou Kourouma décrit la capitale de la République des Ébènes. Dans cette cité qu’on pourrait assimiler à Abidjan ou à n’importe quelle capitale de l’Afrique de la première décennie des indépendances, le narrateur dresse un portait contrasté de deux quartiers. Il y a le quartier des nègres, poussiéreux et grouillant de monde et celui des Blancs, lumineux et fait de gratte-ciels. Une situation d’inégalité qui inspire à son personnage, Fama, la conclusion suivante : « Partout, sous tous les soleils, sur tous les sols, les Noirs tiennent les pattes ; les Blancs découpent et bouffent la viande et le gras[51]. »

    Trois décennies plus tard, les artistes ivoiriens révèlent cette même dichotomie dans la ville d’Abidjan, et dans d’autres capitales africaines. Le décor est le même, mais les acteurs, différents. Une frange importante de la population s’enfonce dans la misère tandis qu’une petite classe politique continue de s’enrichir. Cette injustice est résumée dans le titre « Plus jamais ça » du groupe Les Salopards :

    • D’Abidjan à Brazza, le système nous a tous piégés
    • De Brazza à Ouaga, le décor n’a pas changé
    • C’est toujours les mêmes qui bouffent
    • C’est toujours les mêmes qui souffrent
    • C’est toujours les mêmes qui bouffent
    • Et c’est toujours le peuple qui souffre[52]

    Face à une conjoncture sociale figée, les jeunes qui sont les plus grandes victimes de l’inégale répartition des biens et des richesses, ne peuvent rester longtemps silencieux. L’adage « gbê est mieux que drap » prend alors tout son sens. Plutôt que de mourir de honte dans la misère des quartiers précaires, ces jeunes préfèrent crier haut et fort leur misère et leur ras-le-bol.

    On constate à travers les deux grandes tendances de la musique urbaine ivoirienne que sont le zouglou et le rap abidjanais que la jeunesse déscolarisée ou diplômée est dans tous les cas une jeunesse précarisée et ressentant une vive forme d’injustice. D’où cet appel des Salopards à « jeu-de-jamber » le système,[53] en d’autres termes, à se débarrasser du système. Le nouchi qui est par essence un langage crypté s’impose alors comme la forme particulière de cette révolte.

    Dans une société marquée par la faillite du système social et politique depuis plus de deux décennies et confrontée à la colère montante d’une « génération sacrifiée[54]», les musiques urbaines, longtemps considérées comme des sous-cultures, devraient être mieux étudiées. Elles expriment l’état d’âme des jeunes et peuvent être analysées comme une forme d’alerte précoce à de nouvelles crises.

    Les artistes ivoiriens dénoncent le fondement du pouvoir politique en « postcolonie », c’est-à-dire la prédation des élites et l’appauvrissement des populations. Ils assument aussi de ce fait la responsabilité du musicien dans la société africaine traditionnelle : celle qui consistait, selon le sociologue Dedy Seri à « éveiller la conscience collective[55].» Mieux, la spécificité de leur langage, le nouchi, un mélange du français standard, de néologismes et de langues maternelles ivoiriennes, est révélatrice d’une identité en crise. Aussi l’explosion du phénomène nouchi qu’on observe avec le succès des musiques urbaines traduit-elle éloquemment la profondeur de la rupture sociale en Côte d’Ivoire.

    En définitive, le zouglou et le rap abidjanais s’inscrivent dans une dimension contestataire des musiques urbaines à travers le monde. En témoigne l’importance du mouvement hip-hop dans le « printemps » tunisien en 2011 et les tentatives de musellement de ces artistes par les nouvelles autorités tunisiennes[56].

    Footnotes

    1. Expression nouchi (français populaire ivoirien : gbê = vérité ; drap=la honte) qui signifie : « Mieux vaut dire la vérité que de mourir de honte ».
    2. La Côte d’Ivoire a connu un système politique marqué par le parti unique de l’accession à l’indépendance en 1960 à 1990. Le 30 avril 1990, les autorités ivoiriennes sont contraintes d’accepter le multipartisme après plusieurs semaines de manifestations de l’opposition clandestine et d’organisations corporatives. Cette nouvelle donne politique entraine une liberté relative qui se manifeste par l’autorisation des partis d’opposition, la création d’une presse privée, etc. L’avènement du zouglou qui est une musique satirique s’inscrit dans cette liberté de parole retrouvée.
    3. Anne-Marie Green (dir), Musique et sociologie. Enjeux méthodologiques et méthodes empiriques, Paris, L’Harmattan, 2000.
    4. Diégou Bailly, La restauration du multipartisme en Côte d’Ivoire ou la double mort d’Houphouët, Paris, L’Harmattan, 1992.
    5. « Entre 2003 et 2004, la Côte d’Ivoire a enregistré une croissance négative, respectivement -1,6 pour cent et -1,7 pour cent. La montée des tensions en novembre 2004 a conduit au départ de nombreux opérateurs économiques, en particulier français, et à la fermeture ou à la délocalisation de quantité d’entreprises. Cela a eu un impact catastrophique sur l’économie. », Côte d’Ivoire, perspectives économiques en 2004-2005. Rapport de l’OCDE. Disponible sur http://www.oecd.org/fr/pays/cotedivoire/36792226.pdf. Consulté le 16/05/2013.
    6. Konaté Yacouba, « Génération zouglou », Cahiers d’études africaines [En ligne], 168 | 2002, mis en ligne le 25 décembre 2005, consulté le 23 mai 2013. URL : http://etudesafricaines.revues.org/166.
    7. Alain Darré (dir), Musique et politique. Les répertoires de l’identité, Rennes, PUR, 2000, p.15.
    8. La Côte d’Ivoire a déjà connu l’expérience du pluralisme politique pendant la période coloniale entre 1946 et 1951. Cf. Laurent Gbagbo, Côte d’Ivoire : pour une alternative démocratique, Paris, L’Harmattan, 1983.
    9. Diégou Bailly, La restauration du multipartisme ou la double mort d’Houphouët, op.cit.
    10. Christian Lagarde, Identité, langue et nation. Qu’est-ce qui se joue avec les langues?, Canet, Trabucaire, 2008, p. 9.
    11. Diégou Bailly, ibid.
    12. Bilé Didier et Les Parents du campus, « Gboglo Koffi », Album, Abidjan, 1991.
    13. « Français de Moussa- français maquis répétez ; on vous entend très… bien », in La littérature en Côte d’Ivoire, Notre Librairie  n°87 avril-juin 1987, p. 81-84.
    14. « Le français en Côte d’Ivoire : de l’imposition à l’appropriation décomplexée d’une langue exogène », Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde [En ligne], 40/41 | 2008, mis en ligne le 17 janvier 2011, consulté le 16 mai 2013. URL : http://dhfles.revues.org/125.
    15. Le terme ” Ndaya” ( Nda= jumeaux ; Aya= fille née le vendredi. Ndaya=jumelles en langue baoulé) désigne une ONG (Ndaya International) créée par l’épouse du président Houphouët pour soutenir l’enfance déshéritée. Ndaya renvoie dans le langage estudiantin aux bourses de l’enseignement supérieur dont les montants sont en deçà des besoins réelles des étudiants. L’aide financière dont quelques-uns d’entre eux bénéficient est ainsi assimilée à une aumône dérisoire devant l’immensité de leurs besoins.
    16. L’expression « Only for Dogs » est née d’une rumeur relative à la découverte de sacs de nourritures portant la mention « Only For Dogs » dans un stock de vivres à la résidence universitaire de Vridi dans la périphérie nord d’Abidjan au début des années 1990. Depuis lors, cette expression est utilisée par les étudiants ivoiriens pour dénoncer la qualité médiocre des plats servis dans les restaurants universitaires.
    17. Cf. Germain Arsène Kadi, « Analyse transdisciplinaire de l’émergence du français populaire ivoirien », Lettres d’ivoire, Revue scientifique de littératures, langues et sciences humaines, n°008, université de Bouaké, 2010,  pp. 91-109.
    18. Bilé Didier et les parents du campus, op.cit.
    19. La solidarité entre étudiants entraine une augmentation du nombre d’étudiants non-admis officiellement  et une certaine promiscuité dans les résidences universitaires. Le sort de ces étudiants non logés vivant dans des conditions extrêmes est assimilé à celui des refugiés cambodgiens fuyant la terreur des Khmers rouges.
    20. Bilé Didier et les parents du campus.
    21. « Les chanteurs zouglou de Côte d’Ivoire », in Ethiopiques,  n° 80, 1er septembre 2008.
    22. 100.000 titres vendus. Une première dans l’histoire de la musique ivoirienne du début des années 1990.
    23. Blé Raoul Germain, « Zouglou et réalités des jeunes en Côte d’Ivoire », Afrique et développement, vol. n° 1, 2006, pp. 168-184.
    24. Laurence Proteau, Passions scolaires en Côte d’Ivoire. Ecole, Etat et société, Paris, Karthala, 2002.
    25. Notre voie du 22/09/1999 cité par Laurence Proteau, Ibid, p. 326.
    26. Petit Denis, « Qui va nous sauver ? », Abidjan, 1997.
    27. Espoir 2000, « Abidjan », Le bilan, 2000.
    28. Espoir 2000, « le bilan », ibid.
    29. 500 F CFA équivaut à 0,7622 € et à environ 1,03 $.
    30. Poussins chocs, « Année 96 », Album Foutaises, Abidjan, 1996.
    31. Francis Akindès, «Dévaluation et alimentation à Abidjan (Côte d’Ivoire)», Les Cahiers de la recherche en développement, n° 40, 1995, pp. 24-42.
    32. La mort du premier président ivoirien, Félix Houphouët-Boigny en décembre 1993 marque un tournant dans l’histoire politique du pays. Né en 1905, celui qui a pendant longtemps symbolisé la stabilité de son pays, est au début des années 1990, un président affaibli par une santé chancelante et par l’usure du pouvoir. C’est pourquoi un changement au sommet de l’État est vu par la jeunesse comme une nouvelle espérance.
    33. Les salopards, « Regarde », Album bouche B, Abidjan, 1995.
    34. Diégou Bailly, La restauration du multipartisme en Côte d’Ivoire ou la double mort d’Houphouët, ibid.
    35. Achille Mbembé, De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2000.
    36. Georges Lapassade et Philippe Rousselot, Le rap ou la fureur de dire, Paris, Loris Talmart, 1996, p.34.
    37. Isabelle Marc Martinez, Le rap français : esthétique et poétique des textes (1990-1995), Peter Lang, 2008,     p. 20.
    38. « On mesure l’ampleur de la pauvreté, lorsqu’on constate que près de 40% de la population estiment qu’ils ne parviennent pas à s’alimenter de façon correcte en assurant les trois repas quotidien. », Institut national de la statistique, Gouvernance, démocratie et lutte contre la pauvreté en Côte d’Ivoire. Le point de vue de la population d’Abidjan, Abidjan, 2005, p. 31.
    39. Garba 50, « Abidjanais », 2007.
    40. Garba 50, « Galère », Abidjan, 2005.
    41. Garba 50, « Galère ».
    42. Garba 50, « Abidjanais », ibid.
    43. Institut national de la statistique, Ibid, p. 37.
    44. En français populaire ivoirien, les Sicobois désignent les bidonvilles de la capitale économique, Abidjan. L’étymologie du terme (sico/bois=construction en bois).
    45. Billy-Billy, album « Nouvelles du pays », Abidjan, 2007.
    46. Diégou Bailly, op.cit.
    47. Kouassi Dongo et al, « Analyse de la situation de l’environnement sanitaire des quartiers défavorisés dans le tissu urbain de Yopougon à Abidjan, en Côte d’Ivoire », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement [En ligne], Volume 8 Numéro 3 | décembre 2008, mis en ligne le 21 décembre 2008, consulté le 19 mai 2013. URL : http://vertigo.revues.org/6252 ; DOI : 10.4000/vertigo.6252.
    48. Alphonse Yapi-Diahou, dans son livre (Baraques et pouvoirs dans l’agglomération abidjanaise, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 16) note déjà au milieu des années 1990, l’existence de 72 quartiers précaires à Abidjan.
    49. Célestin Hauhouot, « Analyse du risque pluvial dans les quartiers précaires d’Abidjan. Etude de cas à Attécoubé », Geo-Eco-Top, n.32, 2008, pp.75-82.
    50. Lors de la deuxième édition des « Hautes Gammes », organisée par le Bureau  ivoirien des droits d’auteurs (BURIDA), Billy-Billy a obtenu le prix du « meilleur auteur compositeur de musique rap et hip-hop 2008 » et celui « de la révélation 2008 ».
    51. Ahmadou Kourouma, Les soleils des indépendances, Paris, Seuil, 1995,  p. 20. Coll. points.
    52. Les Salopards, « Plus jamais ça », Album Bouche B, Abidjan, 1995.
    53. Ibid.
    54. Les Salopards, « Génération sacrifiée », Album, Abidjan, 1998.
    55. Dedy Seri, « Musique traditionnelle et développement national en Côte d’Ivoire », Tiers-Monde. 1984, tome 25, n° 97, p. 116.
    56. Élodie Auffray, « Tunisie : le rap en sourdine », Libération du 04 octobre 2013.

    Works Cited

    Corpus

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    About the Author

    Germain-Arsène Kadi: Diplômé de l’Université de Paris III Sorbonne Nouvelle, Germain-Arsène Kadi est enseignant de littérature comparée à l’Université de Bouaké en Côte d’Ivoire, depuis 2007. Il a été stagiaire postdoctoral à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) en 2010-2011. Ses travaux actuels portent sur les relations entre la littérature et les arts visuels et les études postcoloniales. Il est l’auteur deux essais publiés aux éditions L’Harmattan à Paris. (Le champ littéraire africain depuis 1960. Romans, écrivains et société ivoiriens (2010); De Johnny chien méchant d’Emmanuel Dongala à Johnny Mad Dog de Jean-Stéphane Sauvaire. Littérature, cinéma et politique (2013). Il également publié des articles dans des revues scientifiques.

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    ISSN 2330-510X